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Le discours de Jean-François Magnin
L’évolution du rôle de l’éducation non formelle dans les systèmes éducatifs. Le point de vue des CEMÉA, mouvement d’Éducation Nouvelle français

Évolution du rôle de l’éducation non formelle

Dès 1945 à Londres, l’acte constitutif de l’UNESCO stipulait que « chaque état membre adresse à l’organisation un rapport périodique (...) sur les lois, règlements et statistiques relatifs à ses institutions et à ses activités dans l’ordre de l’éducation, de la science et de la culture ».

Cela induisait déjà que des institutions éducatives existaient et que c’étaient elles qui étaient concernées par le rapport ; cela nécessitait donc de définir et de choisir les activités considérées comme éducatives. On entrait là dans un processus de classification et de normalisation. Denis POIZAT, chercheur français en sciences de l’éducation et qui a réalisé de nombreuses missions dans des pays en voie de développement, en particulier en Afrique, considère que c’est à partir de ce moment là que va s’établir la prédominance de l’institution scolaire dans l’ensemble des descriptifs de l’éducation. On en trouve de nouveau la confirmation dans la classification internationale type de l’Éducation (TIPE) de l’UNESCO en 1975, qui étudiera de façon approfondie le secteur scolaire mais ne fera qu’aborder superficiellement le secteur non formel.

Cela va avoir pour conséquence que ce champ d’activité éducative va être très peu normalisé et donc considéré et caractérisé de façons assez différentes selon les périodes et selon les situations des différents pays.

Certains ont pu penser que l’éducation non formelle était une spécialité des pays pauvres. Ces pays n’ayant que très peu d’infrastructure scolaire, auraient recours à des moyens de transmission des connaissances et d’apprentissage à travers des organisations communautaires (en particulier religieuses) et des enseignements privés spontanés qui favoriseraient le développement de systèmes éducatifs non formels. L’éducation non formelle serait une sorte de compensation à l’éducation formelle inexistante.

Pourtant, les études comparatives sur 23 pays effectuées pour l’UNESCO en 1989 par CARON, CARR-HILL et LINTOTT ne confirment pas ce point de vue. Au contraire, c’est dans les pays où il y a un fort taux de scolarisation primaire que le développement des activités non formelles est le plus important. Il n’y a donc pas de rôle compensatoire et l’éducation non formelle n’est pas l’apanage des pays pauvres. C’est même le contraire qui se passe car les subventions et aides internationales aux pays pauvres vont d’abord, et presque exclusivement, aux systèmes scolaires et donc à l’éducation formelle et pas à l’éducation non formelle qui reste dépendante d’initiatives privées aléatoires.

Une autre forme de caractérisation de l’éducation non formelle a porté sur l’éducation des adultes, et plus particulièrement sur l’alphabétisation de ces derniers. Cela a été fortement mis en avant durant la période de la décolonisation dans les années 1950-60, en lien avec la volonté de promouvoir la démocratie dans ces pays nouvellement indépendants. Cela a aussi été promu et mis en œuvre dans le cadre des mouvements de libération en Amérique Centrale et du Sud et on connaît dans ce contexte historique et géographique les idées et les actions de Camillo TORRES et de Paulo FREIRE que ce dernier a théorisé dans deux livres célèbres « La Pédagogie des opprimés » et « Conscientisation et Révolution ».

Ce lien entre éducation non formelle et alphabétisation des adultes a eu - et a toujours - une réalité. Mais on reste encore dans le registre, dans la définition et la conception de l’éducation non formelle comme compensation, comme palliatif ou rattrapage d’une éducation formelle préalable qui n’aurait pas existé.

Ce lien n’existe d’ailleurs pas seulement à travers l’alphabétisation. Il est présent aussi dans la conception même de la formation continue et dans l’appellation plus récente et plus à la mode d’éducation et de formation tout au long de la vie.

Il n’est pas dans mon propos de soutenir que la formation continue et la formation des adultes ne font pas partie intégrante de l’éducation non formelle ; elles en sont certainement une composante importante. Mais il faut néanmoins considérer d’abord qu’une partie de cette formation continue des adultes se range plutôt dans l’éducation formelle et, ensuite, que réduire l’éducation non formelle aux seuls publics adultes ne reflète pas la réalité.

La conférence générale de l’UNESCO en 1997 reconnaît cela. En effet, la nouvelle classification internationale type de l’Education (CITE 97) établit que : « l’enseignement non formel peut (...) s’adresser à des personnes de tout âge. Selon les spécificités du pays concerné, cet enseignement peut englober des programmes d’alphabétisation des adultes, d’éducation d’enfants non scolarisés, d’acquisition de compétences utiles à la vie ordinaire et professionnelle et de culture générale ».

Les enfants sont maintenant concernés mais seulement s’ils sont non scolarisés. On retrouve de nouveau là la conception de la compensation, du palliatif, du rattrapage. Mais, les compétences utiles à la vie ordinaire et professionnelle et la culture générale élargissent cette conception.

Un an plus tard, en 1998, le thesaurus Européen de l’Education va sortir des critères d’âges et de compensation pour se positionner par rapport à d’autres éléments qui apparaissaient déjà, peu ou prou, dans les définitions antérieures.

Ce qui détermine la classification comme éducation formelle, non formelle ou informelle réside dans trois critères :

. Les activités éducatives sont-elles structurées dans le cadre du système scolaire et universitaire ? . Y a-t-il existence ou non de reconnaissance officielle d’acquis (diplômes ou titres) à la fin de la formation ? . Y a-t-il une intentionnalité éducative clairement annoncée ?

Si les trois critères sont présents, il s’agit d’éducation formelle ; si le troisième au moins est présent, il s’agit d’éducation non formelle ; si le troisième n’est pas posé a priori, on est dans une situation d’éducation informelle.

Plus récemment, dans le cadre d’un symposium sur l’Education non formelle organisé par le Conseil de l’Europe (13 ? 18 octobre 2000 à Strasbourg), c’est le statut de l’éducation non formelle que les participants aux travaux ont souhaité faire évoluer.

Pour eux, l’éducation non formelle a une place centrale dans le domaine de l’éducation, au même titre que l’éducation formelle. « Sa tâche n’est pas [écrivent-ils] de combler les lacunes laissées par le système d’éducation formelle. Il est complémentaire et contribue - avec d’autres formes d’apprentissage - au développement des compétences sociales d’une personnalité ». Il ne s’agit plus, on le voit, d’un système de rattrapage visant à compenser des manques mais d’un des éléments constitutifs d’une éducation des enfants et des jeunes réellement globale.

L’apprentissage non formel doit être volontaire et accessible à tous. C’est un processus organisé avec des objectifs éducatifs (on retrouve là la notion d’intentionnalité). Il concerne l’apprentissage de compétences sociales et la préparation à une citoyenneté active. Il est basé sur l’expérience et l’action et part des besoins des participants.

Les travaux du symposium mentionnent aussi la nécessité d’améliorer la comparabilité des réalisations de l’Education non formelle afin d’en faciliter l’évaluation et la validation dans des cursus individuels scolaire, universitaire ou professionnel.

Mais ces mêmes travaux précisent que cela ne doit pas donner lieu à l’élaboration de normes fixes telles qu’elles existent dans les systèmes d’éducation formelle (telles que notes, points, niveaux ou classes). Il y a nécessité d’avoir des approches différentes en matière d’évaluation et de validation qui restent encore souvent à élaborer.

Plusieurs pays européens ont travaillé à cela et certains ont déjà bien avancé ; je pense, en particulier, à la Hollande et à l’Allemagne. En France, s’est mis en place récemment le système de la VAE (Validation des Acquis de l’Expérience) qui permet à des personnes qui ont acquis les expériences en question de bénéficier d’allègements de formation et de validation dans le cadre de la préparation de diplômes professionnels.

Mais cela ne doit pas concerner que les diplômes professionnels car on risque de glisser à nouveau subrepticement vers la seule formation des adultes. Il s’agit pour les participants du symposium, en fonction des temps éducatifs globaux consacrés à l’éducation et à la formation initiale, « de ré-élaborer les programmes des systèmes de l’éducation formelle afin de donner aux enfants et aux jeunes l’espace et le temps nécessaires pour prendre part à l’éducation non formelle ».

Où en sommes-nous en France ?

Il s’agit là de préconisation de niveau européen. En France, il y a encore une tendance majoritaire à considérer que le rôle de l’éducation non formelle est principalement de type compensatoire et palliatif ou encore un enrichissement supplémentaire optionnel que chacun choisit ou pas d’utiliser. C’est la position de l’institution responsable de l’éducation qu’est le ministère de l’Education Nationale.

Mais il ne s’agit pas d’un vrai choix car celui-ci ne peut-être effectué que par ceux qui ont les moyens financiers de le faire.

Concernant les professionnels de l’éducation que sont les enseignants, la tendance majoritaire est aussi la même. L’éducation non formelle est associée à l’école de la deuxième chance et donc à des publics qui ont eu des difficultés à l’école de la première chance qu’est l’enseignement scolaire et universitaire.

Il en va d’ailleurs de même des méthodes pédagogiques innovantes, des méthodes participatives, des pédagogies s’appuyant sur le travail par projet... Tout cela est plutôt considéré comme réservé à ceux qui n’ont pas réussi à s’adapter à la pédagogie traditionnelle et, comme par hasard, souvent l’apanage des activités éducatives non formelles.

Les CEMÉA, en tant que mouvement d’éducation nouvelle et d’innovation pédagogique, ne partagent bien sûr pas ces conceptions.

Pour ce qui nous concerne, nous sommes très proches des analyses et des conceptions avancées par le Symposium Européen de Strasbourg. Les savoirs traditionnels de base qui sont dispensés dans l’enseignement scolaire sont certes incontournables mais ne sont plus suffisants aujourd’hui pour vivre dans nos sociétés, pour s’y intégrer socialement et professionnellement et y prendre une place de citoyen actif.

S’ajoutent à ceux-ci : o Des compétences relationnelles et comportementales (ouverture aux autres, capacité d’écoute et de dialogue, adaptation à des modes de relations différents...). o Des compétences interculturelles (capacité d’adaptation à des environnements, à des rythmes de vie, des alimentations différents, intérêt pour les autres cultures et les autres nationalités, esprit critique vis-à-vis de son propre mode de vie...). o Des compétences organisationnelles (qualité de rigueur, prise de responsabilité, esprit d’initiative et d’innovation, conduite de projet, capacité à animer un groupe...). o Des compétences de mobilité (adaptabilité, intérêt aux voyages et à la découverte, gestion de l’imprévu...).

Ces compétences là, pour la plupart, ne s’enseignent pas mais s’apprennent par l’expérience, par le vécu concret de situations, par l’action. C’est le « learning by doing » que préconisait John DEWAY, un des pères de l’Education Nouvelle.

L’enseignement scolaire est mal adapté - dans ses structures mêmes, dans ses modes de fonctionnement (école, classe, temps précis d’acquisition découpé en tranches horaires ...) - à l’acquisition de ces compétences là qui demandent des structures et des temps plus souples, plus adaptables et modulables. Cela est aussi lié aux méthodes pédagogiques choisies par les enseignants qui peuvent soit accentuer les pesanteurs de l’organisation scolaire, soit les alléger et les contourner en partie.

Mais, c’est durant les temps libres, dans les pratiques culturelles, dans les actions de solidarité, dans les rencontres et échanges internationaux, dans les activités de loisirs et de vacances, au sein de la vie associative, que les enfants et les jeunes vont pouvoir, souvent pour la première fois, expérimenter ces compétences. Et toutes ces activités sont les composantes principales de l’éducation non formelle.

Je vais, pour finir, prendre quelques exemples d’activités où peuvent commencer ou continuer de s’acquérir ces différentes compétences. Il s’agit là de situations françaises mais qui existent certainement dans beaucoup d’autres pays.

Durant la scolarité primaire, plus rarement secondaire, il existe ce que nous appelons les classes de découverte. Les élèves et leurs enseignants partent pour une ou deux semaines dans une autre région de France - à la montagne, à la mer, à la campagne, à la ville pour les écoles rurales, parfois aussi à l’étranger. Cela peut se renouveler plusieurs fois durant la scolarité d’un élève.

C’est une expérience de mobilité durant le temps scolaire qui va permettre de vivre des situations nouvelles : la préparation du séjour qui se prête bien à une pédagogie du projet ; la découverte de nouveaux environnements géographiques, historiques, humains, de nouvelles activités, de nouvelles modalités culturelles qui permettent d’élargir l’horizon de chacun et d’enrichir ses propres connaissances et sa propre culture ; une vie collective aussi qui va entraîner de nouveaux types de relations, entre les enfants et entre les enfants et les adultes. De l’éducation non formelle en fait au sein d’un temps d’éducation formelle qu’est l’école, qui va permettre à l’enseignant, s’il l’anticipe et le construit dans ce sens, de faire vivre une véritable situation d’éducation globale.

On peut trouver la même situation dans les centres de vacances et de loisirs éducatifs et dans les rencontres internationales pour enfants et adolescents hors du temps scolaire. Les équipes d’encadrement de ces séjours vont pouvoir, comme pour les classes de découverte, construire un projet pédagogique visant à faire vivre aux enfants et aux adolescents de réelles situations éducatives avec souvent plus de temps disponible et un cadre moins contraint. C’est l’intentionnalité éducative de l’équipe d’encadrement qui en fera toute la qualité.

Les centres de vacances et de loisirs sont aussi des temps éducatifs très riches pour les jeunes animateurs volontaires qui les encadrent. C’est en effet souvent une de leur première prise de responsabilité en vraie grandeur et pas des moindres : s’occuper des enfants des autres. C’est aussi de la part de ces jeunes animateurs un acte de citoyenneté active qui va permettre, grâce au volontariat, le départ en vacances de centaines de milliers d’enfants qui, pour certains, n’auraient pas pu partir sans cela. C’est enfin la prise de conscience pour ces animateurs de l’importance de l’acte éducatif et la préparation par cette action de leur futur métier de parents.

Ces relations, basées sur la confiance intergénérationnelle et la réciprocité contribuent fortement au lien et à la cohésion sociale. On est là au cœur de la dimension citoyenne de l’éducation non formelle.

On pourrait aussi étudier le rôle et la place des élèves dans les organes de fonctionnement des collèges et des lycées et l’éducation et les pratiques de la citoyenneté que cela peut générer. Ou encore l’intérêt des conseils d’enfants et de jeunes dans les municipalités quand ils ne sont pas utilisés par les pouvoirs politiques locaux comme des faire-valoir mais qu’ils sont de réels lieux d’apprentissage de la démocratie participative.

Bien utilisés, en se méfiant toujours de la démagogie jeuniste, ces différentes expériences peuvent être de vrais supports d’éducation non formelle.

Mais je n’ai pas le temps d’approfondir cela.

Un rôle complémentaire indispensable

L’éducation non formelle ne peut pas remplacer l’éducation scolaire initiale. Elle peut, quand cette dernière a été défaillante, être un élément de rattrapage, jouer un rôle compensatoire, en particulier en direction des adultes. Elle est, dans ces cas là, ce que l’on nomme souvent l’école de la seconde chance.

Elle peut aussi, par les innovations pédagogiques qu’elle sécrète, enrichir l’ensemble des formes d’interventions éducatives.

Mais elle devrait surtout être considérée comme complémentaire et indissociable de l’éducation scolaire et universitaire pour permettre d’acquérir des compétences aujourd’hui indispensables et que cette dernière ne peut pas apporter, en tout cas dans son organisation et sa conception actuelles. Si les systèmes éducatifs reconnaissaient pleinement cette complémentarité et la mettaient réellement en œuvre, cela limiterait sans doute bon nombre d’échecs scolaires et, plus largement, réduirait les inégalités face à l’éducation, favoriserait l’insertion sociale pour de nombreux enfants et adolescents, dynamiserait l’engagement citoyen et permettrait une meilleure éducation globale pour tous.

Je vous remercie de votre attention.

Jean-François MAGNIN




Maj :12/06/2006
Auteur : ficemea