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Intervention de Janluc BASTOS
égalitère (extrait)

égalitère, partenaire du projet européen À quoi joues-tu ? est une coopérative sociale d’ingénierie de l’égalité. Nous proposons différents accompagnements de diagnostic, de conseil, de formation, de formation de formateur-es et d’évaluation, pour la prise en compte de l’égalité entre les hommes et les femmes dans les politiques publiques et pour sa mise en œuvre dans les pratiques sociales et professionnelles. Nous sommes des praticiens et des praticiennes, nous privilégions le travail en réseau, tout autant avec d’autres praticien-nes de l’égalité que des partenaires issu-es du monde de l’éducation et de la recherche scientifique. Nous nous appliquons, dans une conviction partagée, à pratiquer en interne ce que nous proposons, c’est-à-dire l’égalité salariale, le partage des responsabilités, des décisions et des tâches.

Favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes, pourquoi ? Face aux nombreuses avancées des droits sociaux en matière d’égalité, et alors que l’école est mixte depuis quelques dizaines d’années, pourquoi vouloir encore i promouvoir l’égalité entre les filles et les garçons, et qui plus est, dès leur tout jeune âge ?

À quoi jouons-nous ? La place des filles et celles des garçons, la place des hommes et celles des femmes dans notre société révèlent une persistance des inégalités (cf. Regards sur la parité, ’ femmes et hommes, Insee, 2004-2005).
  Les filles sont aujourd’hui davantage diplômées que les garçons mais peu présentes dans les filières reconnues comme porteuses d’avenir (techniques et sciences).
  Les femmes ont, depuis un demi-siècle, massivement investi le mode du travail, mais elles concentrent encore leurs activités dans les secteurs de l’éducation, de l’assistance, des « soins aux autres ».
  Les femmes ont moins accès aux postes à responsabilité, sont davantage touchées par le chômage et par des conditions et des temps de travail défavorables.
  Les salaires des femmes sont, en moyenne, inférieurs de 20 % à ceux des hommes, en France et en Europe.
  Les emplois à temps partiel (temps majoritairement subis et non choisis) sont occupés à 83 % par des femmes.
 75 % des travailleurs pauvres sont des femmes.
  Les inégalités sont aussi les violences sexistes : une femme sur 10 serait confrontée à des violences de la part de son conjoint.
  Les femmes effectuent seules jusqu’à 80 % des taches domestiques, familiales et éducatives.

Ces inégalités sont la conséquence d’une socialisation stéréotypée, assignant aux hommes et aux femmes des places, des rôles différenciés parce qu’ils sont, hommes, parce qu’elles sont, femmes.

Depuis le traité de Rome, en 1957, l’égalité des droits entre les femmes et les hommes a largement progressé, en Europe, mais aussi dans le Monde, sauf qu’une forte inégalité de fait persiste tout autant, partout dans le Monde, voir même se renforce ou change de forme comme les différentiels d’accès aux ressources en large défaveur pour les femmes, en Europe et ailleurs dans le Monde. Comment vaincre ces inégalités et les résistances que nous avons à les réduire, sinon en les reconnaissant, en les analysant et en cherchant d’autres modus vivendi plus démocratiques.

Bien que ce travail doive avant tout se décider individuellement, il doit être partagé, confronté au sein de groupes, d’organismes, de structures. Bien que cette question soit d’ordre politique, il s’agit tout autant de pratiques personnelles, sociales et professionnelles.

La formation apparaît alors comme un chemin possible, un support familier pour apprendre l’égalité. Bien que, alors, surgisse la question des pratiques pédagogiques. Nos successives expériences de formation et de formation de formateur-es nous forcent à préciser que nombre de candidat-es à la formation voudrait plutôt savoir qu’apprendre, plutôt connaître que comprendre et demanderait des outils, clé en main, déjà prêts à l’emploi, sans même s’inquiéter de quelles portes pourraient-ils faciliter l’ouverture !

Ainsi nous privilégions les démarches participatives, telle celle de l’auto socio construction des savoirs développée par l’Éducation Nouvelle, ou encore la démarche de déconstruction que nous avons élaborée, au sein d’égalitère, à partir des recherches du philosophe Jacques Derrida. Nous proposons cette pédagogie de la recherche parce qu’elle favorise le questionnement par la construction des différentes problématiques, parce qu’elle favorise le repérage des logiques de fonctionnement et la prise de conscience grâce aux ruptures créatrices et à la distanciation d’avec les problématiques. Nous voulons donner les moyens à chaque participant-e de faire sa propre découverte, de se rendre compte par soi-même de ses représentations sexuées, des mécanismes de reproduction des stéréotypes afin qu’il et elle puisse être acteur-e de changement, de son propre changement. Le cœur technique de notre ingénierie pédagogique repose donc sur l’identification et la valorisation des différentes postures d’apprentissage des participant-es, ce qui suppose d’avoir appris à apprendre à les reconnaître.

Par exemple, nous pouvons dire qu’il n’y a pas une vérité de l’égalité, le concept d’égalité est complexe comme celui de la vie, ce qui importe en formation c’est que les participant-es prennent conscience de leurs convictions et de leurs croyances, des représentations qui en découlent et des conséquences de celles-ci sur leur vie et sur celles de leurs concitoyen-nes.

Chacun, chacune, tout le monde, a une opinion, des convictions, une représentation de ce qu’est ou devrait être l’égalité, de quand il y a ou il n’y a pas égalité. Tout le monde a sa « mesure » de l’égalité et le débat sur la question peut devenir vite un conflit. Comment en tant qu’intervenant-e en formation pouvons-nous participer activement à ce débat sans entrer dans le conflit, sans ajouter aux représentations ?

Prenons en exemple, le débat souvent imposé avec « toute la bonne foi du monde » : égalité ou différence, doit-on, en ce qui concerne les femmes et les hommes, affirmer l’égalité ou tenir compte des différences ? Nous pouvons ici nous appuyer sur les travaux de Nicole Mosconi : l’opposé d’égalité, c’est : inégalité, l’opposé d’égalité n’est pas : différent. Ce qui s’oppose à : différence, c’est similitude. Le contraire de différent est : identique, ce n’est pas : inégalité. L’association différence, inégalité est une association absurde ! L’opposé d’égalité est : inégalité. Donc si vous dites : les hommes et les femmes ne peuvent pas êtres égaux, ou si vous dites : les femmes ne peuvent pas être égales aux hommes, cela signifie que vous dites que les hommes et les femmes sont inégaux. Or les hommes et les femmes peuvent être égaux. Ils ne le sont pas, mais ils le peuvent, c’est écrit dans la constitution et cela peut se réaliser si nous le voulons, tous. Les hommes et les femmes peuvent être égaux, cela ne les empêche pas d’être différents. Nous pouvons être à la fois égal et différent. Ce que nous recherchons, ce n’est pas assimiler les hommes et les femmes, c’est, au contraire, de permettre : que les hommes entre eux soient différents, que les femmes entre elles soient différentes et que les hommes et les femmes soient égaux entre eux.

La différence des sexes n’est pas naturelle, elle est acquise. La différence des sexes est le produit de rapports de domination.

Ce sont les travaux de Geneviève Fraisse, philosophe et praticienne, qui nous permettent de continuer cette analyse. La différence anatomique visible entre les hommes et les femmes forme effectivement mais irraisonnablement la « butée » de la réflexion pour l’appréhension de l’identique et du différent. Et c’est sur cette indéniable opposition que sont, que nous avons construit, toutes les autres différences, avec en « prime », une hiérarchie supérieure, inférieure, ... Le supérieur étant, à l’évidence, toujours du côté masculin.

La démarche consistant à opposer ou interpréter les inégalités en différences, ce qui revient en fin de compte à les justifier, ne justifie, finalement, que la position dominante. Les inégalités sont toujours des différences subies non pas du fait de la nature comme la taille, la couleur de la peau, le sexe, mais résultent bien des différences subies, produites et construites par la société. Il serait juste aussi de dire que c’est dans ces différences que la question de l’égalité est sans doute la plus difficile à aborder, à démontrer et à construire. Nous en avons eu encore la preuve tout au long du projet À quoi joues-tu ?

Car avec cette question hommes, femmes, nous sommes au point de départ d’une réflexion qui reste controversée, conflictuelle, c’est pourquoi il nous faut des repères (des jalons) pour ce chemin inconnu : des mots, des concepts, des idées, des chiffres. Il nous faut identifier et surtout aider à l’identification des obstacles et des empêchements à penser comme cette confusion entre égalité et différence.

Quand un sujet se prête à de nombreuses controverses, ce qui est le cas pour toute question qui d’une façon ou d’une autre a trait au sexe, nous ne pouvons surtout pas espérer dire ou détenir ou, pire, croire détenir seul-e, la vérité. Nous devons, par contre, montrer comment, nous sommes parvenu à la position que nous soutenons en accompagnant les apprenant-es dans un parcours de découverte. Les exercices de situation-problème de l’auto socio construction des savoirs mis en place par l’éduction nouvelle, s’y prêtent tout à fait. Toutefois il s’agit de les proposer dans toute leur richesse et surtout dans leur mise en capacité :
  permettre d’abord une réflexion individuelle,
  confronter ensuite les connaissances et les mobiliser collectivement pour construire un projet,
  puis, dans l’analyse du vécu de l’exercice, accéder à une mise à distance qui, confrontée à l’écoute active enrichie d’apports conceptuels des intervenant-es, participera à la construction d’un savoir. Celui d’apprendre à repérer, à reconnaître les processus d’inégalité, de subordination et de relations de pouvoir asymétriques. De prendre conscience que les inégalités, qui sont culturellement construites, apparaissent presque toujours comme des faits naturels.

Il nous faut bien aussi mettre à jour que les relations entre individus sont toutes des relations façonnées par la différence homme femme, qu’elles impliquent des personnes d’un même sexe ou d’un sexe différent. Il y a donc obligation de repenser, de réfléchir sur ce qui paraît être « normal », ordinaire, habituel concernant les hommes et les femmes, nos relations, nos rôles et places dans l’organisation de la société et sur les conséquences de cette organisation pour nous-mêmes et chacun, chacune d’entre nous. Parce que l’on peut observer qu’il n’y a pas plus « de sens commun » de ce que doivent faire ou être les hommes et les femmes, qu’il n’y a d’ « évolution naturelle » vers l’égalité entre les hommes et les femmes.

Et la formation des formateur-es est ici en cause. Les intervenants, particulièrement les hommes, (mais aussi des femmes) observés jusqu’à ce jour dans leur pratique professionnelle, qui affirment catégoriquement n’opérer aucune discrimination fondée sur le sexe, accordent systématiquement, dans leur quotidien professionnel, un traitement préférentiel en direction des hommes. De même, les manuels, les brochures, les documents utilisés, textes, illustrations, quel que soit le domaine pour lequel ces documents sont utilisés, l’éducation, la formation, la santé, l’économie, etc, ces documents persistent encore à véhiculer des situations hiérarchiques sexuées. Les compétences professionnelles de formation sont au cœur de cette question qui pourrait nous préoccuper ici : comment construire une pédagogie qui valorise l’égalité et la diversité aussi bien dans la formation des responsables de formation que dans les pratiques pédagogiques ?

Définir un modèle de formation favorable à la promotion de Légalité suppose un profil de formateur ou de formatrice se considérant acteur et actrice de la transformation sociale.Cette posture conduit alors l’intervenant ou l’intervenante à une prise de conscience de ses parcours de vie professionnelle et personnelle à l’égard de son identité d’homme ou de femme, de ses choix de valeurs, de son niveau de conscience face aux différentes façons de représenter, de se représenter les femmes, les hommes, leurs images, leurs rôles, leurs relations. Dans les formations que nous proposons, dans celle que nous avons initiée dans le projet À quoi joues-tu ?, notre parti pris pédagogique n’est jamais de répondre comme s’il pouvait exister des réponses de type CQFD, ce qu’il fallait démontrer. Parce qu’un savoir ne s’assène pas mais se construit. Parce qu’il est plus important de comprendre pourquoi et comment une situation peut se changer et d’en être ainsi l’acteur ou l’actrice plutôt que d’entendre une solution toute faite qui devient alors difficile à s’approprier.

Nous sommes, aussi, parfois confronté-es à la question "d’inverser" les rôles face aux constats d’inégalités, et "d’oublier" les hommes dans les projets. De fait, il nous faut plutôt nous interroger sur "qui" supporte le poids du "jeu social" dans nos sociétés et surtout s’il est imaginable de pouvoir "en sortir", de penser un "possible". Le développement pédagogique des éléments de compréhension permet de saisir les situations d’inégalités et donc entraîne à poser des actes pour aller vers une suppression de celles-ci. Comment apprendre à ne pas, à ne plus juger l’autre à partir des, de ses stéréotypes conscients (et inconscients) ? Notre façon de juger l’autre est toujours influencée par le modèle socioculturel et par les critères de valeurs dominants qui nous sécurisent et nous protègent. Il faut du courage pour s’en défaire. Il pourrait s’agir aussi d’apprendre à être courageux, courageuse sur cette question.......

Janluc Bastos, égalitère 14, rue Jules Amilhau, Appt 235, 31100 TOULOUSE 05 34 46 51 70 egalitere@free.fr




Maj :27/06/2006
Auteur : ficemea