Les jeux, jouer pour grandir

Raymonde Caffari
Pédagogue et cheffe du Service jeunesse
et loisirs de la Ville de Lausanne (Suisse)
© Revue Petite Enfance n°63, 3/1997

« La poupée est un des plus impérieux besoins et en même temps des plus charmants instincts de l’enfance féminine. Tout en rêvant et tout en jasant, tout en faisant des petits trousseaux et des petites layettes, tout en cousant des petites robes, de petits corsages et de petites brassières, l’enfant devient jeune fille, la jeune fille devient grande fille, la grande fille devient femme. Le premier enfant continue la dernière poupée. Une petite fille sans poupée est à peu près aussi malheureuse et tout à fait aussi impossible qu’une femme sans enfants ».
V. Hugo, Les Misérables

Ainsi le jeu et le jouet prépareraient l’enfant au rôle que la société lui réserve ? C’est une vision banale, et essayer de repérer une dimension sexiste dans les jeux des enfants revient souvent à constater l’abondance de jouets qui évoquent l’activité de la femme au foyer et à craindre le conditionnement qui en résulterait pour les petites filles auxquelles ils sont destinés. «Que les jouets français préfigurent littéralement l’univers des fonctions adultes ne peut évidemment que préparer l’enfant à les accepter toutes... Ce n’est pas tant d’ailleurs l’imitation qui est signe d’abdication que sa littéralité... Il existe par exemple des poupées qui urinent ; elles ont un oesophage, on leur donne le biberon, elles mouillent leurs langes ; bientôt sans nul doute, le lait dans leur ventre se transformera en eau. On peut par là préparer la petite fille à la causalité ménagère, la «conditionner» à son futur rôle de mère».
Or, il n’est pas du tout prouvé que le jeu ait cet effet de conditionnement.
Voir le jeu comme une simple préparation aux rôles et aux tâches de la vie adulte, c’est ignorer qu’il agit plus profondément ; il est à la fois source d’apprentissage et découvertes, et moyen d’intégration des connaissances et expériences. Plus fondamentalement encore, il sert à l’élaboration de la personnalité, à la «construction de soi» en quelque sorte.
Offrir aux filles et aux garçons des jouets différents, limiter ou orienter les possibilités de jeu des unes et des autres revient à réagir en profondeur sur le développement ; d’où la nécessité de prendre conscience d’éventuelles pratiques sexistes dans ce domaine. Pour cela, il convient d’examiner le comportement ludique des enfants, les jouets qu’on leur propose et l’attitude des adultes face au jeu.

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