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Conférence de M. Enzo SCANDURRA
« La relation entre citoyenneté active et éducation au développement durable aujourd’hui. Quelles perspectives politiques et pédagogiques ? »

Enzo SCANDURRA, conférencier Rodin RAMANALINARIVO, animateur Stefano VITALE, traducteur

RODIN RAMANALINARIVO « J’ai le plaisir d’accueillir Monsieur le professeur Enzo SCANDURRA que je remercie d’avoir répondu favorablement à notre invitation et d’avoir accepté d’intervenir sur un thème qui est dans le cadre de nos travaux : la relation entre citoyenneté active et éducation au développement durable, et quelles perspectives politiques et pédagogiques ? Je voudrais, pour commencer, passer la parole à notre ami Stefano VITALE, afin qu’il nous présente notre invité. »

STEFANO VITALE « Merci Rodin. J’ai beaucoup de plaisir à vous présenter notre invité, Enzo SCANDURRA, qui est professeur à l’université Sapienza de Rome (l’une des plus grande universités d’Italie). Il est professeur d’urbanisme. Il s’occupe des questions qui nous touchent de près : la citoyenneté et l’environnement. Il est auteur de nombreuses publications et d’interventions dans la presse. Et, surtout, il est engagé sur le plan pratique et politique auprès des associations, il est aussi Adjoint au Maire d’une ville du centre de l’Italie, il fait partie d’une association : en italien Rete ... (en français "Réseau des nouvelles municipalités"), une espèce d’association qui regroupe des représentants des universités, des administrateurs des associations, des maires, et qui vise à une coopération vertueuse entre ces différents profils professionnels et politiques. Une association pour une autre façon de gouverner les citoyens. Il est non seulement chercheur et théoricien, mais il mène aussi un travail sur le terrain.

Je lui passe la parole en rappelant que notre thème est : citoyenneté et développement durable, quelles perspectives politiques et pédagogiques ? »

Enzo SCANDURRA « Enzo s’excuse de ne pas parler Français au cours de cette présentation. Je suis très content d’être ici et je suis émerveillé par la présence de personnes représentant autant de différents pays. Je vais vous parler de mon expérience et également de l’expérience de cette association parce que je pense que l’intérêt de ce débat est de centrer notre réflexion sur la notion de démocratie. Mon expérience touche un point de vue occidental et même si d’autres pays ont une autre culture, il est intéressant de pouvoir préciser un certain nombre de choses pour pouvoir après dialoguer. D’abord, je vais définir un cadre, celui dans lequel mon expérience s’est développée. Ce cadre est caractérisé par la notion de "centralité", la ville. Tout le monde voit bien qu’il y a un changement de la ville, de sa représentation et de sa réalité. Il y a un passage profond de la ville qu’on appelait "moderne", la ville modèle de production, à une ville qu’on appelle aujourd’hui "post moderne", contemporaine mais dont on ne sait pas bien ce qu’elle va être. On est dans une difficulté devant ces transformations. Comme nous n’avons pas beaucoup de temps, je vais proposer des images, des métaphores qui peuvent aider à mieux saisir les concepts. Aujourd’hui, pour mieux définir la ville, une bonne image est de remarquer que les systèmes historiques de défense de la ville, les murs, les portes, les fossés n’existent plus mais qu’ils sont substitués par des barrières invisibles qui sont très consistantes. Par exemple des barrières qui séparent des groupes qui vivent dans la ville et qui sont en conflit de façon presque perpétuelle. Aujourd’hui il y a peut-être une autre image, c’est celle du citoyen. Il y a deux profils de citoyens. Il y a les citoyens qui sont liés au processus de la globalisation et qui ne sont pas trop touchés ou qui sont plus intéressés par cette transformation de la ville ; et d’un autre côté, les citoyens qui, pour des raisons différentes, soit parce qu’ils sont obligés soit parce qu’ils aiment vivre dans la ville, sont très ancrés dans les valeurs locales et donc ressentent vivement cette transformation de la cité et ses problématiques. Un autre élément de différence entre la ville d’hier (même si le passé est très récent) et celle d’aujourd’hui, outre le processus de la globalisation car il ne crée pas de relation étroite avec le lieu, c’est un autre changement intéressant, un changement que l’on peut appeler anthropologique et qui coïncide avec la chute du Mur de Berlin en 1989 dans lequel le couple "égalité-liberté" a basculé vers la liberté et non plus vers l’égalité. Cela a déterminé la chute de tous les liens de solidarité sociale qui caractérisaient la ville en tant que lieu d’accueil, en tant que lieu de relation sociale. Une autre caractéristique de la ville aujourd’hui, c’est la situation d’insécurité, d’instabilité, dans les modes de vie. Comme dans le système américain, on sent bien que l’on peut passer d’une situation de bien-être à une situation d’exclusion, donc à une situation d’insécurité. Je parle aussi des personnes au chômage, en italien le mot est "disocupato", c’est-à-dire sans occupations. On va même plus loin : aujourd’hui les exclus sont sans travail et surtout sont en dehors d’un certain circuit social, relationnel. Il y a une espèce de conflit entre ceux que l’on peut appeler les citoyens de premier rang, ceux qui sont dans le processus de globalisation dont on parlait tout à l’heure, qui refusent ou qui ne sont pas intéressés par la ville mais qui peuvent l’utiliser avec ses avantages, et d’un autre côté les citoyens qui sont en dehors de ces circuits, donc les citoyens de deuxième rang. Un autre élément du cadre est caractérisé par la notion d’autonomie et de dépendance. Il faut comprendre que cette notion a changé très vite. Aujourd’hui on parle de changement "epocale", un changement "d’époque entière", ce sont des changements très rapides par rapport à autrefois. C’est sur cet individu libéré, qui ne ressent plus aucun lien de relation sociale, que pèse l’expérience de la dépendance d’une instance collective. Il y a cette dimension qui était plus importante que l’individu, la notion du social qui était plus importante que l’individu. Aujourd’hui, c’est l’inverse, c’est ça qui crée le problème. Je veux vous citer un arrêt qui mettait en garde face à cette perte d’équilibre entre l’individu et le social, il y a des individus qui sont uniques et pluriels, et qui vivent dans la société. Aujourd’hui on perd de vue la dimension de la société. Ce nouveau concept de l’individu est caractérisé par un manque de lien, même un refus de lien. L’homme moderne contemporain de cette ville ne pense pas ce lien indispensable, il vit dans le présent, il consomme des expériences, il n’a pas cette mémoire du passé, mais il vit une contradiction car il a quand même besoin "d’être ensemble". La nouvelle "liberté" amène une dégradation de la vie sociale. Par exemple, la question de biens communs, la défense des biens communs nécessite quelque chose qui soit présupposé au-delà de l’individu, et donc il faut réinventer la dimension de communauté dans ce nouveau cadre. Il faut entrer dans cette thématique de "biens communs". C’est important. Elle nous amène à réfléchir sur la crise de la démocratie représentative qui a permis de faire devenir importante la citoyenneté active. La réaction a été de réévaluer la citoyenneté active. Cette crise de la démocratie représentative est liée d’un côté à un changement de perspective par rapport à certaines théories. Je pense à Hobbes, qui théorisait l’idée des individus en lutte perpétuelle entre eux et qui donc avaient besoin d’un Etat souverain qui établissait l’ordre à travers des lois, cette idée est en crise. Comme l’idée de l’Etat à travers la globalisation, parce qu’un des effets de la globalisation c’est que certaines décisions qui concernent tous les citoyens sont prises ailleurs que dans l’Etat. Ou bien sont prises par des organismes qui ne sont pas élus. Prenons l’exemple de l’OMC qui décide certaines procédures qui ne sont pas liées à la politique locale. Il y a beaucoup d’éléments qui peuvent déterminer la crise. Je pense à une image donnée par un autre chercheur italien, Salvatore EVECA ( ?) : il faut imaginer une hache, la hache de votre grand-père où la partie en fer a été changée, où la partie en bois a été changée, et où il ne reste plus qu’un simulacre de hache, et dedans il n’y a plus rien. C’est toujours une hache mais ce n’est plus la même. La société est devenue sans doute plus complexe et plus articulée, et les rapports entre les élus et les citoyens sont plus complexes et plus articulés et l’on doit être conscient de cette situation. La démocratie représentative est sans doute une grande invention de l’Occident. C’est clair qu’il est difficile de la remplacer, mais c’est aussi clair qu’aujourd’hui on peut réfléchir à l’idée qu’à côté de cette démocratie représentative il peut y avoir une démocratie directe. Car on ne peut pas faire sans la démocratie représentative mais on voit qu’elle n’est plus assez efficace. La question du rôle que le citoyen peut avoir sur la prise de décision dans les questions d’intérêt commun redevient fondamentale. Il y a une autre image donnée par un collègue italien CASSANO ( ?), dans un livre, qui dit : "La défense des biens communs est une raisonnable folie". Folie, parce que c’est difficile de défendre quelque chose qui n’appartient à personne, enfin qui n’appartient pas à quelqu’un. Il y a ceux qui disent que les biens communs sont destinés à disparaître parce qu’ils n’appartiennent à personne et donc personne ne peut s’en occuper. Mais c’est déraisonnable parce que sans la défense des biens communs, il n’y a pas de société. Alors on est entre ces deux problématiques ! Voici un exemple de citoyenneté active car quand on en parle, on parle d’effet "boule de neige". Un groupe de citoyens a été particulièrement sensible à un problème d’environnement, à Bari, une ville du Sud de l’Italie, où s’était construit au bord de la mer un édifice monstrueux, énorme. Les citoyens ont commencé à protester, et d’autres citoyens sont venus renforcer cette protestation. S’il n’y avait pas eu un début de protestation, les autres n’auraient pas eu le courage de protester aussi. Et donc quand on s’aperçoit qu’il y a un avantage qui apparaît dans l’"être ensemble", les citoyens se mobilisent. Cela peut amener à concevoir un bien commun plus important que l’intérêt privé. Il faut raisonner en dehors des catégories économiques traditionnelles, c’est une possibilité, parce qu’il y a des situations qui ne sont pas rentables, par exemple tout ce qui tourne autour de la solidarité. C’est vrai que sur la relation coût/bénéfice, il y aura des situations qui ne pourront jamais se réaliser. Mais elles peuvent quand même produire des avantages de façon exclusive. Par exemple, l’engagement militant. Evidemment, si on analyse le coût/bénéfice, l’individu n’est pas rentable mais si on le regarde sur le plan de la gratification, du plaisir, de l’engagement personnel, de tous les effets possibles qu’il y a là, il y a une autre réponse, d’un autre ordre et qui permet de revoir nos systèmes de production sociale et matérielle. Je donne l’exemple de la touriste qui monte sur une colline avec ses appareils de photos, et sur une autre colline il y a une femme qui monte en portant un enfant. La touriste s’adresse à la femme en lui disant : "C’est lourd de monter avec cet enfant" et la femme répond : « Non, c’est mon frère". Il y a une attitude différente entre la touriste qui trouve que c’est dur de monter avec ses appareils de photo et l’autre femme qui trouve que ce n’est pas lourd parce que c’est son frère. Dans la ville agissent deux forces différentes : il y a la ville traversée par des décisions qui sont prises par des organismes extra territoriaux et il y a d’un autre côté la politique au niveau local. Il y a une asymétrie entre ces deux dimensions et souvent on doit constater que l’action politique des citoyens doit s’opposer à des décisions qui sont prises ailleurs. Et l’action des citoyens est caractérisée par cette opposition. On assiste aujourd’hui à des phénomènes nouveaux. Beaucoup de citoyens, au-delà des partis, assument des comportements qui sont plus compatibles avec le milieu, avec l’environnement et plus attentifs à des considérations sociales. Peut-être est-ce une réaction contre les phénomènes de globalisation qui ont tendance à détruire les lieux, les différences, les identités. Ces mouvements de masse, inconscients, pas consciemment organisés, sont une forme de citoyenneté active. La citoyenneté active peut se définir comme une citoyenneté qui est caractérisée par un état d’inquiétude. Il a la tâche de "faire danser les partis", de faire bouger les partis. Aujourd’hui il faut faire monter cette idée ; celle qui dit que l’on ne peut plus déléguer notre destin aux partis. C’est la citoyenneté active qui organise les relations, les modes de vie et qui fait des propositions pour obliger les pouvoirs à prendre des décisions différentes. Le processus de globalisation a tendance à éliminer les différences territoriales. Cela produit un double mouvement : d’un côté, un danger avec la constitution de nouveaux Etats sur des bases ethniques et c’est très dangereux, et de l’autre côté, on ne peut pas substituer l’Etat Nation par des idées du style la Défense de l’Occident. Il n’y a plus des Etats, mais il y a la nécessité de défendre l’Occident. Ces deux dangers aujourd’hui visibles doivent être pris en compte. On doit développer des politiques d’accueil et dans cette situation le rôle des pays de la Méditerranée est très important. Les pays de la Méditerranée peuvent être le lieu de la médiation. Le lieu où des peuples différents peuvent vivre ensemble. C’est un pari, c’est un défi, ce n’est pas donné, mais c’est peut-être à travers une revalorisation des lieux contre une espèce de globalisation qui aplatit tout, que cela peut devenir un bon enjeu. C’est-à-dire éduquer en respectant les différences par opposition à l’idée de la défense des identités qui seraient des murs. C’est-à-dire organiser les communautés à des niveaux locaux pour faire naître des modes de vie nouveaux. Cela peut être un pari important. Dans différentes villes en Italie, à Rome par exemple où j’habite, il y a des situations locales où les citoyens se rencontrent dans des espaces publics de débat, des espaces publics de rencontre, où les citoyens prennent en charge des problèmes particuliers, des problèmes locaux qui peuvent aller de l’organisation des trottoirs à l’organisation de la cour plutôt qu’autre chose mais aussi à la défense de l’identité, de la mémoire sur le plan culturel. Et là l’éducation va jouer un rôle fondamental. Et comme le dit Gregory Betz ( ?) "Là c’est le moyen qui compte et non la finalité". Le moyen, c’est "être ensemble", une certaine modification du style de vie, c’est déjà un résultat important, plus important que certaines utopies qu’on ne peut pas réaliser. Une dernière réflexion sur l’éducation à l’environnement quand on parle de citoyenneté active. On citait la question du milieu de vie des personnes. En venant ici, je pensais que l’éducation à l’environnement, c’est aussi une "éducation sentimentale" (en paraphrasant Flaubert) dans le sens que c’est développer un sentiment de voisinage, d’appartenance à la nature. Il faudrait dépasser l’idée de la défense de l’environnement et la remplacer par un automatisme éducatif qui fasse qu’on ressente immédiatement son appartenance à la nature, à l’environnement et donc qu’on dépasse ce besoin de défendre. Là il y a un travail éducatif à faire.

Je vous remercie de m’avoir invité, et je suis désolé de n’avoir pas pu dialoguer directement avec vous et d’avoir été obligé de parler par l’intermédiaire de Stefano. »

RODIN RAMANALINARIVO « Il y a sans doute des questions liées à nos travaux. Si vous voulez poser des questions ? »

Jean-Philippe DURRENBERGER « Je voudrais remercier le professeur de son approche, une approche nouvelle, supplémentaire de la ville. Nous sommes actuellement dans une situation où la ville est rejetée par les citoyens et par les habitants. Votre regard me semble intéressant. Aux CEMEA, nous nous posons souvent cette question : "Comment avoir un autre regard sur la ville ?" La ville est tellement complexe qu’elle est indéfinissable. Nous sommes aujourd’hui confrontés à un paradoxe entre individu et liberté d’une part et lien social et solidarité d’autre part. Comment faire reprendre aux jeunes et aux moins jeunes ce sens civique, cette approche de la ville autrement que comme un produit de consommation ? Actuellement, nous sommes très dépendants de la ville et nous ne sommes pas du tout autonomes. »

Enzo SCANDURRA « Je suis d’accord avec ton analyse. Je partage ce que tu dis. La ville, les villes étaient à l’origine des lieux de socialisation effectivement. Au Moyen-âge, on disait "l’air de la ville rend libre". Aujourd’hui, ce n’est plus comme ça. Le processus d’autonomie individuel poussé à l’extrême peut être comparé à une vieille chanson italienne qui disait "Personne ne peut juger". En Italie, nous sommes dans cette situation où "Personne ne peut juger personne". La citoyenneté active a peut-être aujourd’hui renversé cette situation. Elle prend des initiatives liées par exemple aux lieux physiques, aux lieux matériels ou à l’histoire, à la mémoire, elle prend soin des relations des personnes en partant de ce qui est "économiquement inutile". Elle démontre que la défense de certains biens communs faite d’une façon collective, et qu’on ne peut pas défendre de façon individuelle, donne une certaine satisfaction, un bien-être qu’on ne retrouve pas dans la défense d’intérêts individuels.

Construire, créer des contextes quotidiens, même dans les petites choses, est, pour moi, fondamental. Cela construit la résistance à la disparition de l’idée de la ville comme lieu de socialisation. »

Claudio TOSI « Claudio dit qu’à Rome il a participé à des actions de la municipalité, en particulier dans la onzième municipalité. Il pose la question : "Penser aux lieux communs, c’est quand même penser dans une dimension très large, c’est complexe". Que faire en partant des maisons où les personnes vivent leur isolement quotidien ? Que pensez-vous de projets qui peuvent être centrés sur l’organisation des cours, des groupes d’achat sur le plan "éco-solidaire" et qui permettent de contrôler les dépenses ? »

Enzo SCANDURRA « Sans doute l’exemple de Claudio est pertinent par rapport à cette perspective. Il y a une ville au Sud de l’Italie, où les citoyens se sont rebellés contre la décision, prise évidemment ailleurs, d’enterrer dans leur commune des déchets radioactifs. Il y a eu un mouvement populaire qui a créé une conscience collective, et au-delà de cette prise de conscience, cela a démontré que les citoyens peuvent aussi influencer des décisions, car la municipalité a suivi le mouvement des citoyens. Je veux parler d’un autre exemple avec la ville de Leccia au Sud de l’Italie dans la région des Pouilles, où il y a un spectacle qui s’appelle "La Nuit de la tarentule, de l’araignée", une manifestation populaire, traditionnelle, liée à la culture locale, dont le nouveau président de Région, qui appartient à une administration de gauche, a vendu les droits artistiques à une télévision chinoise, et cela a rapporté de l’argent ! Il y a aussi des situations dont on ne doit pas avoir honte car elles permettent de sauvegarder des traditions grâce à l’argent dont elles ont besoin pour continuer d’exister. Il y a des risques mais cela vaut parfois le coup de les prendre. »

Serguey MOLCHANOV : (question inaudible)

Enzo SCANDURRA « Sur la différence entre citoyenneté et patriotisme. Je voudrais répondre avec une phrase de Bertold BRECHT qui disait "On n’aime pas la femme qu’on a épousée mais on se marie avec la femme qu’on aime". C’est subtil mais c’est l’idée. C’est-à-dire, la patrie est quelque chose que l’on peut trouver, ce n’est pas forcément la patrie dans laquelle on vit. Cela peut aussi être une image rhétorique. On peut parfois dire que la citoyenneté et le patriotisme sont en contradiction, voire à l’opposé. D’un côté la patrie, c’est une situation imaginaire qui ne répond pas aux intérêts des individus, alors qu’au contraire la citoyenneté demande une participation active et quotidienne et cherche à renouveler les significations et le sens des relations quotidiennes. Dans la tradition italienne, l’idée de la municipalité correspondait à l’idée du "pouvoir du lieu" contre un pouvoir général, éloigné, imaginaire. Pour la question de la relation entre patriotisme et globalisation : la globalisation a tendance à "dé-territorialiser" les lieux, l’espace devient indifférencié, lisse, sans histoire, homogène, uniforme. Et dans ce cadre, l’idée de patrie devient encore plus abstraite. C’est pour ça que je défends l’idée de la Méditerranée comme le "lieu des lieux", non pas comme une patrie, non pas comme une Nation, mais comme un lieu pluriel constitué par une pluralité d’unicités. Pour essayer encore de répondre à la question, Je dis que globalisation et patrie sont deux notions, deux concepts très difficiles à définir. Ce sont des concepts idéologiques. D’un côté la globalisation a tendance à nier la patrie et d’un autre côté on assiste sur le plan politique à la récupération de l’idée de patrie pour des raisons idéologiques et aussi pour justifier la globalisation. Il y a un jeu entre les deux. Si l’on regarde le mot "patrie" avec une perspective historique, il y a une idée autoritaire, de paternalisme. Je préfère l’idée d’appartenance à un territoire, quelque chose de plus pluriel, quelque chose qui ne renvoie pas à des limites bien définies, mais qui ouvre à des possibilités de communication différentes. »

Albert VARIER « Les mots "patriotisme, citoyenneté et démocratie" sont des mots qui concernent deux réalités différentes. Le patriotisme, c’est l’amour de son pays. S’engager pour faire tout ce qu’il faut au bénéfice de son pays. Alors que citoyenneté et démocratie concernent d’autres réalités qui sont liées au pouvoir et au lieu où se trouve le pouvoir. L’idée sous-jacente est que les populations, dans certaines circonstances, se saisissent d’un pouvoir habituellement exercé par d’autres. Or ce que nous soutenons dans la citoyenneté active, c’est que ce pouvoir se répartisse le plus possible sur l’ensemble des groupes concernés. »

Enzo SCANDURRA « La patrie en France est toujours compliquée... L’idée de patrie ne peut pas avoir le même sens pour des citoyens qui vivent des situations sociales et historiques différentes. La patrie, pour un citoyen de premier rang a une certaine signification. Pour un citoyen en difficulté, quelqu’un qui est touché par des problèmes sociaux, c’est autre chose. Mais quand et par qui est évoquée la patrie ? C’était surtout quand il fallait défendre des intérêts puissants. Au nom de la patrie ont été commis des guerres et aussi des délits incroyables. C’est un concept qu’il faut manipuler avec beaucoup de précaution. »

Paul LOKO « Je ne vois pas deux réalités séparées, mais je vois l’une, la citoyenneté comme étant le prolongement de l’autre, le patriotisme. »

Bernard DUMONT « J’ai beaucoup aimé ce qui a été dit et l’analyse qui a été faite. Mais je regrette que l’on s’arrête au moment où l’on passe de la notion de défense à la notion d’appartenance.... »

Mananki RANDRIANASOLO « Le processus de globalisation est maintenant inéluctable, mais il y a de grandes différences entre les pays. Actuellement les investisseurs ne viennent à Madagascar que s’ils obtiennent de grandes parcelles de terre, ce qui est une nouvelle forme de colonisation. Quelles solutions proposeriez-vous pour affronter cette part de la globalisation ? »

Enzo SCANDURRA « Il n’y a pas besoin de répondre. C’est juste, que c’est un constat. »

Stefano VITALE « Moi, je voudrais poser une question à Enzo. On a beaucoup parlé de cette citoyenneté active, c’est bien, c’était notre thème, on a bien vu les liens entre ce qui est en train de se faire par rapport à la vie quotidienne et cette analyse, mais il faut aussi se défendre de la démagogie de la citoyenneté. Au nom du refus de certaines instances institutionnelles, on assiste à un certain nombre de pertes de repères communs, de repères institutionnels. Au nom d’une fausse citoyenneté qui dit "le peuple doit faire, doit agir" on perd tout repère, on assiste à une espèce de démagogie du citoyen, un peu une liberté sans limite. Aujourd’hui pour éduquer les enfants et les jeunes aux biens communs, il faut quand même aussi éduquer les adultes à une autre perspective de relations aux lois, aux règles et aux institutions. C’est un problème. »

Jacques GRINEVALD « Il me semble que cela touche aussi le problème important dans la vie internationale des ONG et quelles sont leurs légitimités politique et démocratique ? »

Enzo SCANDURRA « Par rapport à ma question, je dis que la citoyenneté active doit se caractériser par une inquiétude. Ce n’est pas une institution, ce n’est pas un mouvement, ce n’est pas un parti, c’est une attitude d’inquiétude, c’est être attentif, c’est prendre au sérieux la création du contexte des relations en sachant que ce sont des contextes et des relations qui peuvent se former mais aussi se détruire rapidement. A propos de la démocratie, ou bien on est pour la démocratie seulement le jour où on va voter, et c’est la journée seulement, parce qu’après les élus se fichent de ce que les électeurs ont demandé et donc c’est la démocratie d’un jour ! ou bien d’un autre côté, il y a aussi une démocratie à risque quand les représentants élus font tout ce que les électeurs demandent. Il vaut mieux aller faire un autre travail plutôt qu’être représentant du peuple.

Stefano VITALE « C’est difficile et peut-être que notre rôle d’éducateur est d’être entre ces deux aspects. »



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Maj :26/06/2006
Auteur : ficemea