Libérer la parole !

Le Gouvernement wallon, a entrepris un exercice de participation directe d’enfants à l’évaluation des mesures du Plan d’actions 2016-2019 relatif aux Droits de l’enfant. Les Ceméa de Belgique ont été au cœur de l’accompagnement de ce projet.

Ce rapport retrace cette aventure menée tambour battant, jalonnée de belles rencontres, de partages de vécus et d’expériences de la part des enfants et des jeunes, de surprises, d’idées et d’enthousiasme, mais aussi d’obstacles, d’interrogations sur ce type de démarche.

Cet article synthétise ce rapport dont l’objectif est d’organiser et de structurer la parole des enfants, des idées et des témoignages que les enfants et les jeunes ont construits et partagés.

Dans le processus mis en œuvre pour cette expérience de consultation participative, nous avons porté une attention particulière à faire vivre aux enfants des moments de réelle expression et participation. Pour chaque rencontre, nous avons pensé des temps d’activités qui ont permis aux enfants et aux jeunes de vivre l’article 12 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.

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Accueillir la parole

Les conditions nécessaires à la participation et à l’expression des enfants ont été pensées et réunies :

  • du temps pour jouer et se rencontrer,
  • une attention à retenir tous les prénoms,
  • l’instauration d’une relation de confiance entre les animateurs et animatrices et les enfants,
  • l’installation et l’aménagement de manière à ce que chacun-e puisse se voir et se parler (notamment en cercle de chaises),
  • une attention à ce que chacun-e prenne la parole et puisse dire ce qu’elle-il a à dire,
  • de la place à tout ce que les enfants amènent sans opérer de tri sur le moment-même,
  • une proposition d’activités qui rendent les enfants acteurs, actrices du moment et pas consommateurs, consommatrices d’un discours désincarné,
  • un ajustement durant et entre les séances pour chaque groupe en fonction des âges, du nombre, de la dynamique, des intérêts…
  • une relation d’adultes à enfants pensée comme une relation de personnes à personnes (ce qui signifie de ne pas considérer les enfants comme des mini-adultes, mais comme des personnes à part entière, à un moment particulier de leur développement) qui passe notamment par le tutoiement et le fait de s’appeler par son prénom,
  • une confiance dans les capacités des enfants à participer aux activités et dans le fait qu’elles-ils aient des choses intéressantes à nous dire et à partager,

Libérer la parole : un changement systémique ?

Pour nombre d’enfants et de jeunes, ces rencontres ont été une première expérimentation de ce droit. Ils-elles l’ont d’ailleurs relevé. Les conditions nécessaires sont loin d’être toutes réunies dans leur quotidien, que ce soit à l’école, dans l’accueil extrascolaire, les maisons de quartier… reléguant cette préoccupation bien loin dans l’ordre des priorités. Les difficultés rencontrées pour l’élaboration du panel de groupes en est un indicateur : dédier trois séances de deux heures aux droits de l’enfant n’a pas été une mince affaire…

Ce constat nous semble aussi révélateur d’une certaine impuissance face à ce sujet pourtant essentiel. De plus, mettre en œuvre les droits de l’enfant, laisser les enfants s’exprimer et participer engendre quasi mécaniquement une perte de pouvoir des adultes. Si les enfants ont leur mot à dire, s’ils-elles ont la possibilité de donner leur opinion, de choisir et d’être entendu-e-s, alors la place des adultes bouge et c’est toute l’institution qui est chamboulée. Ce changement de paradigme est déstabilisant et nous comprenons aisément qu’il soit difficile de le mettre en place. Il n’existe pas, à l’heure actuelle, une culture des droits de l’enfant incarnée dans le quotidien des différents espaces investis pas les enfants.

L’Éducation active comme perspective ?

Si le dispositif que nous avons proposé permet aux enfants et aux jeunes de vivre leurs droits, il n’est pas neuf dans nos pratiques. Les principes de l’Éducation active laissent la place aux individus et s’appuient sur les compétences et capacités de chacun-e pour construire un savoir collectif propre au groupe qu’ils composent. De facto, les droits se vivent et s’éprouvent dans ce type de démarche. D’ailleurs, les groupes que nous avons rencontrés qui ont eu le plus de facilités à s’exprimer et s’approprier rapidement le dispositif proposé, sont ceux qui vivent déjà un peu ou beaucoup l’Éducation active dans leur quotidien. Soit parce que l’école qu’ils-elles fréquentent porte ses valeurs dans son projet pédagogique, soit parce que les adultes qui les ont accompagné-e-s ont à cœur de leur faire vivre ces principes. Il s’agit d’une question d’habitude et d’entraînement pour les enfants à être entendu-e-s, reconnu-e-s comme des personnes compétentes et pleines de ressources et agissant dans ce sens.

L’Éducation active nous semble donc être une approche primordiale pour accompagner les enfants dans leur développement et leur faire vivre leurs droits au quotidien. Cela dit, il reste un travail conséquent dans la formation des professionnel-le-s de l’éducation pour faire bouger les choses et surtout le regard que portent la société et les institutions sur les enfants.

« Politiciens, politiciennes »

« On va dire que c’est nous qui l’avons fait ? Y aura une pancarte avec nos noms pour dire que c’est nous ? »

A., H., N., 11 ans, Liège.

Les rencontres que nous avons menées ont été des moments remplis de relations de personne à personne, d’émotions, d’expérimentations… Nous sommes allés voir les enfants, dans leurs locaux, pour discuter de ce qui les préoccupait réellement. Il ne s’agit pas d’une relation administrative, d’un questionnaire impersonnel.

Nous avons laissé leurs paroles s’exprimer sans opérer de tri ou l’aiguiller sur le moment. Nous avons effectué ce travail dans en second temps, entre adultes, tout en restant fidèles à ce que les enfants nous ont dit. Nous ne voulions pas instrumentaliser leur parole, la modeler, la transformer pour qu’elle corresponde à ce que des adultes pourraient attendre.

Cette attention est partagée avec les enfants. Ils-elles sont plusieurs à nous avoir demandé ce qu’il serait fait de leurs idées et leurs paroles. Est-ce que les décideuses et décideurs politiques vont venir les voir ? Est-ce qu’ils-elles vont réaliser leurs propositions ? Que se passera-t-il ensuite ? Ces interrogations sont tout à fait légitimes au regard du travail et de l’investissement fournis par les enfants. Si nous avons eu le souci de reconnaître les efforts et le temps consacrés par les enfants, par exemple, en leur laissant leur affiche des droits de l’enfant mise en page et imprimée, il faudrait qu’il en soit de même pour les « politiciens et politiciennes » auxquel-le-s s’adresse ce rapport. S’agissant donc du réel travail des enfants, il conviendrait que les adultes le considèrent pour de vrai. Il nous paraît important d’inscrire la participation des enfants dans une chaîne, un cercle vertueux qui débuterait par un quotidien « childfriendly » pour potentiellement aboutir à des recommandations politiques qui dépassent le cadre habituel des enfants.

En tout cas, si la volonté des Gouvernements en place est de solliciter la participation des enfants aux décisions politiques qui les concernent, il serait intéressant que les enfants puissent s’inscrire au quotidien dans des réalités qui permettent une participation directe et des perspectives plus larges, une réelle prise en compte de leurs besoins et potentialités par les adultes et les institutions qui les accueillent, un partage plus efficient du pouvoir… Pour les instituer comme sujets d’un monde qui leur appartient et d’un futur qu’il leur incombe de dessiner.

Tel est le défi d’un futur Plan d’Action relatif aux Droits de l’Enfant.

« Vous dites : C’est fatigant de fréquenter les enfants. Vous avez raison. Vous ajoutez : parce qu’il faut se baisser, s’incliner, se courber, Se faire tout petit. Là, vous avez tort, ce n’est pas cela qui fatigue le plus, c’est le fait d’être obligé de s’élever, de se mettre sur la pointe des pieds jusqu’à la hauteur de leurs sentiments, pour ne pas les blesser ».Janusz Korczak, Le droit de l’enfant au respect, 1928

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Publié dans Ceméa de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Europe, Fédération Wallonie Bruxelles de Belgique, Les associations membres, Service d'Education Permanente Ceméa