Depuis plusieurs mois, l’idée d’une transformation de l’obligation scolaire en Belgique francophone réapparait régulièrement dans les discours politiques sur l’École. En Belgique, l’école est obligatoire à partir de 6 ans, mais plusieurs partis politiques belges viennent d’émettre l’idée que cette obligation scolaire devrait toucher aussi l’école maternelle, avec l’intention donc d’obliger tous les enfants dès 3 ans à être régulièrement à l’école. En effet, si plus de 90% des jeunes enfants sont inscrits dans l’enseignement maternel (plus de 97% à Bruxelles), « inscrits » ne veut pas dire « présents ». Dans les discours tenus, si certains enfants ne fréquentent pas l’école maternelle suffisamment régulièrement, il y aura des répercussions sur l’efficacité de leurs apprentissages. De plus, de nombreux-ses politicien-ne-s mettent l’accent sur les bénéfices que pourrait avoir une telle mesure, spécifiquement sur les populations les plus paupérisées.
Les Ceméa tiennent un tout autre discours. L’école maternelle, telle qu’elle est organisée pour l’instant, ne convient pas aux jeunes enfants, de tous les milieux sociaux : peu de choses sont en effet réfléchies à hauteur d’enfant ! Du jour au lendemain, juste parce qu’il atteint l’âge de deux ans et demi, l’enfant passe d’un milieu totalement centré sur ses besoins à un milieu où seuls ses apprentissages risquent de compter. Le lundi, il passe sa dernière journée dans un lieu d’accueil de la petite enfance où la norme de l’ONE (Office National de l’Enfance) impose un adulte pour sept enfants. Le mardi, il se retrouve dans une classe de vingt à trente enfants avec un seul adulte dans les temps de « classe », avec des temps d’accueil où le nombre d’enfants dans le groupe peut s’envoler à plus de 50, des temps de récréation dans une cour où deux-cents enfants jouent en même temps, etc. Il passe d’un milieu où ses besoins primaires sont au centre de l’activité à un lieu où seuls ses apprentissages formels comptent, au point de ne plus l’autoriser à aller aux toilettes en fonction de ses besoins, au point de ne pouvoir boire, parler ou bouger en fonction de ses besoins… Ne peut-on pas parler ici d’une réelle rupture traumatique pour l’enfant ? Et que dire alors des 40% d’enfants qui passent directement d’un milieu familial à l’école ?
Les Ceméa s’inquiètent aussi d’un discours de plus en plus présent dans les milieux de la formation initiale des enseignant-e-s de la maternelle : l’école maternelle doit préparer à l’école primaire ! Les apprentissages ne peuvent plus s’y faire de manière spontanée, en offrant un milieu de vie propre à les faire émerger, mais comme se fonttrop souvent les apprentissages scolaires : en niant l’hétérogénéité du groupe et en s’imaginant faire acquérir une compétence simultanément à l’ensemble du groupe sans attention au respect du rythme de chacun-e.
C’est dans ce cadre d’opposition de valeurs que le secteur École des Ceméa a rencontré l’an passé l’équipe de l’école maternelle n°16 de Schaerbeek, une commune bruxelloise. Plusieurs défis se profilaient pour cette équipe : des projets de rénovation du projet pédagogique par l’introduction d’éléments de pédagogie active, l’instauration de classes multi-âges au sein de l’école, une rénovation complète des bâtiments de l’école durant deux années scolaires, nécessitant bon nombre d’adaptations. L’équipe était en demande d’être accompagnée dans ces défis, les Ceméa désiraient avoir un terrain d’expérimentation pour repenser l’accueil du jeune enfant à l’école maternelle.
En juin dernier, l’équipe des Ceméa et celle de l’école se sont rencontrées et l’accompagnement a débuté en septembre de cette année. Le projet est prévu jusqu’en juin 2018. Deux journées de formation ont eu lieu début octobre avec l’ensemble de l’équipe éducative. Notre premier constat tourne autour de cette notion d’équipe éducative. La manière dont est organisé le système éducatif permet à l’équipe des enseignant-e-s de se concerter, de se former ensemble et à l’équipe de l’accueil extrascolaire de se concerter et de se former ensemble, mais elle ne permet pas à ces deux équipes de se rencontrer. Quel constat faire quand deux personnes travaillant avec les mêmes enfants, l’une enseignante, l’autre accueillante, se disent ne jamais avoir pu échanger plus qu’un bonjour et un au revoir lorsqu’elles se croisent, alors qu’elles font partie d’une même équipe éducative depuis plus de quinze ans ! Le bien-être de l’enfant est-il encore au centre des préoccupations, lorsque le système cloisonne ainsi les temps scolaires et les temps extrascolaires de telle manière que les acteurs et actrices de ces temps ne peuvent se rencontrer réellement ? C’est là sans doute l’un des tout premiers objets de travail pour ce projet d’accompagnement… Il y en a bien d’autres pour garantir que le prochain bambin qui ira pour sa « première journée » à « la vraie école » le fasse dans les meilleures conditions.
Secteur École des Ceméa