Pour les grandes enseignes de supermarchés, c’est même dès le début de juillet que la publicité parle de retour à l’école et que les rayons spécifiques au matériel scolaire fleurissent au plus près de l’entrée des magasins, histoire sans doute que nos chers petits n’oublient pas, dès le 3 juillet,que s’ils sont en « vacances », la rentrée des classes se profile ! Ces rayons ont de plus la particularité d’être dominés par la présence de deux couleurs : le rose et le bleu ! Questionnant ?
La question se pose à beaucoup de parents en cette fin de mois d’août : comment vais-je résister au marketing et à la vision totalement sexuée de l’offre de fournitures scolaires ? Si votre enfant a moins de dix ans, vous aurez droit à l’ensemble des personnages Disney ou Pixar et ceci dans les deux couleurs dominantes. Trouver un cartable, un crayon, une trousse sans Reine des neiges sur fond rose ou sans Flash Macqueen sur fond rouge ou bleu est une mission difficile. Le marketing est malin et efficace : les petites filles sont plus sensibles aux stratégies de vente, ce sera donc plus cher pour elles. C’est ce que certain-e-s auteur-e-s nomment «la taxe rose». Le marketing genré permet aussi d’augmenter la vente. Lorsque le matériel acheté n’est pas genré, il peut se transmettre familialement, mais si la boite à tartines du «grand» Louis est garnie du dernier personnage Disney estampillé «Garçon», sa petite sœur Camille se verra offrir une boite neuve … rose !
L’autre question qui se pose aux parents à chaque rentrée des classes est le coût. La fameuse liste de fournitures demandée par l’enseignant-e ne représente au final qu’une part peu importante des coûts d’une année scolaire. Les achats de cette liste sont estimés à une moyenne de 50 € en maternelle, de près de 200 € en primaire, d’un peu plus en secondaire général, mais explosent lorsque l’on parle de filières professionnelles où l’achat de matériel personnel est parfois très important.
Le moment de ces achats évolue. Il y a trente ans, la liste était donnée traditionnellement à la rentrée ; aujourd’hui, il devient presque obligatoire que celle-ci soit transmise aux parents dès le mois de juin. La liste du matériel devient dès lors non plus celle de l’enseignant-e, mais bien celle de l’équipe du degré, elle est réfléchie entre rangements de fin d’année, bulletins, fatigue… et si les réflexions de l’été amènent l’enseignant à revoir son fonctionnement… c’est trop tard ! Il y a dans ce phénomène de «plus tôt au mieux», bien plus qu’un simple changement de temps. Cela marque le fait que l’école veut démarrer «tout de suite», ne pas laisser le temps à l’enfant et à l’enseignant-e de la transition entre les vacances et l’école. Il FAUT tout le matériel pour être opérationnel-le-s dès la rentrée quitte à ce que le scolaire empiète sur le temps familial des vacances dès l’achat du cartable de l’enfant le 6 juillet !
Un autre budget de plus en plus important est celui des manuels scolaires. Maria Arena, ancienne ministre de l’Éducation, avait prôné son retour dans les cartables en 2005. La ministre avait dès lors lancé une politique budgétaire pour permettre aux écoles primaires et secondaires (au 1 degré) de disposer tous les ans d’un budget pour l’achat de manuels scolaires. Il y avait cependant deux conditions à ces achats : les manuels scolaires devaient être agréés par le ministère et devaient servir comme manuels individuels (l’élève le complétant en cours d’année). Cette politique se perpétue depuis, en ayant cependant supprimé la deuxième condition. Ce fonctionnement semble néanmoins avoir été plus loin que son ambition première. La volonté première était d’apporter une réponse à la discrimination sociale de notre système scolaire, une attention aux plus faibles, une démocratisation de l’accès aux savoirs pour tous ; mais en permettant le retour de l’usage du manuel scolaire à l’école (et ainsi aussi de soutenir l’édition), de nombreuses écoles sont passées au «Tout-manuel» pour lequel les budgets promis ne suffisent pas.
On fait donc de plus en plus appel au portefeuille des parents pour acheter tel ou tel manuel en précisant souvent qu’ une «édition récente» est nécessaire. Il y a derrière cette petite remarque rien de plus qu’une facilité de travail : c’est plus facile de travailler avec une classe où chacun-e possède la dernière version du manuel, mais cela engendre aussi une obligation à l’acheter neuf ou une stigmatisation de l’élève qui aura dû s’acheter son livre en deuxième mains se verra rappeler sa différence sociale à chaque fois que sa veille édition ne correspondra pas à celle de sa voisine ou de son voisin. Dans un système scolaire qui est champion du monde de la discrimination sociale, ce type de «petits détails» ne nous semble pas à négliger. Pour nous, le manuel scolaire a sa place dans la bibliothèque de l’enseignant-e, comme outil de construction, de réflexion de sa pratique, il n’a pas sa place dans les mains de l’élève si l’on considère que la source de son apprentissage doit être celle de son questionnement personnel ou de celui de son groupe et non celle d’un livre écrit par un adulte en fonction d’un programme.
Tous ces coûts de rentrée ont eu pour conséquence de voir fleurir des politiques de «compensation». En Belgique, ce fut l’instauration d’une prime de rentrée scolaire liée aux allocations familiales. Nous questionnons cette politique. Ne valait-il pas mieux faire le choix d’un matériel de base offert aux enfants directement par le ministère pour chacun-e en pouvant être attentif-ve aux différents choix éthiques que cela supposait : choisir un matériel écologique, non-genré, sain … pour diminuer la facture de chaque parent, plutôt que d’offrir un budget dont une part s’en va nourrir les droits de reproduction de Disney …
Secteur École des CEMÉA
Depuis une vingtaine d’années, c’est la course à l’acquisition, la course au «bourrage de crânes», et les manuels (ou plutôt leurs auteurs) qui y ont leur large part de responsabilité. On a sans cesse élargi les programmes, ajouté de nouvelles matières, apporté de nouveaux développements ; toute classe qui se respecte possède aujourd’hui une bonne demi-douzaine au moins de manuels scolaires copieux, développés et complets ; les examens ont exagéré chaque année cet encyclopédisme qui devient comme une hantise mortelle pour l’école.
Célestin Freinet en 1964