Pour un meilleur « usage du monde »

Extrait de : Le blog des Ceméa sur  Médiapart du 29 nov. 2017

La mondialisation impacte nos différents quotidiens (concurrence, dumping social) avec des niveaux local/global interdépendants et indissociables. Cette mondialisation paradoxale n’encourage pas toujours les rencontres et connaissances des réalités de l’autre, mais plutôt de forts replis identitaires. Dans ce contexte, un mouvement d’éducation comme les Ceméa se doit de relever plusieurs défis.

Face à une mondialisation paradoxale

La mondialisation est une réalité qui impacte nos différents quotidiens (concurrence internationale, dumping social, internet et réseaux sociaux) avec des niveaux local/global parfaitement interdépendants et indissociables. Nous vivons donc une mondialisation paradoxale avec à la fois une démultiplication  des échanges (réseaux sociaux, échanges financiers) et peu de réelles rencontres et connaissances des réalités de l’autre et parfois même de forts replis identitaires.

Dans ce contexte de mondialisation, un mouvement d’éducation comme les Ceméa se doit de relever plusieurs défis :

– Démultiplier les situations inductrices d’interculturalité et d’éducation à l’interculturelle. « Rencontrerestunartdifficile;celasapprend;lenseigneràtousestlatâchepremièredenotrecommunauté» Albert Jacquard. La citoyenneté ne peut pas se vivre concrètement à travers des discours, des institutions européennes éloignées du quotidien des habitants, des jeunes. Elle doit s’incarner dans l’éprouvé en permettant à travers les rencontres l’apprentissage de l’altérité tout au long de sa vie pour acquérir des compétences interculturelles. Favoriser une éducation à l’altérité c’est poser les enjeux de l’égalité et pour y arriver, libérer nos différences.

Appréhender les enjeux, la complexité du monde qui nous entoure. Cette éducation est nécessaire pour construire des remparts contre le racisme.

La construction européenne

La dimension internationale fait partie de la singularité des mouvements d’Éducation nouvelle, qui placent l’humanisme au cœur de leur projet politique. Depuis 80 ans, les Ceméa militent pour une Europe sociale, basée sur la rencontre des peuples. Dès la création de l’association, nos pédagogues  entretiennent des réflexions et échangent des pratiques avec leurs pairs en Europe (Italie, Belgique au départ et aujourd’hui avec des organisations dans 15 pays). La chute du mur de Berlin a permis ensuite de renforcer les liens avec des structures socio-éducatives d’Europe centrale et orientale. Puis, le développement des programmes de mobilité type Erasmus+ ont permis à plus de formateurs et de formatrices d’expérimenter le travail en équipe internationale, de rencontrer de nouvelles associations et de construire des projets. Aujourd’hui cette Europe sociale et solidaire, unie dans la diversité reste encore à construire. Elle apparaît toujours comme une alternative à l’Union Européenne trop centrée sur les institutions et une approche économique libérale. Les Ceméa considèrent la rencontre et les échanges entre personnes nécessaires au renforcement d’une citoyenneté européenne et à la reconnaissance de la société civile pour revitaliser cet espace démocratique. Dans notre réseau, plus de 700 personnes vivent chaque année une expérience professionnelle ou citoyenne dans une quinzaine de pays européens. La mobilité est à la fois une expérience personnelle permettant aux stagiaires la compréhension de réalités quotidiennes différentes, mais aussi une expérience collective incitant ainsi à la solidarité entre territoires. Militer en Europe et à l’international, c’est aussi partager des combats éducatifs majeurs dans un réseau de partenaires (lutte contre le colonialisme, reconnaissance du volontariat, lutte contre la marchandisation de l’éducation).

L’éducation interculturelle

Les dernières élections en France et en Allemagne témoignent de la montée en Europe des nationalismes et le retour de valeurs conservatrices. Les propos ou positions racistes ne sont plus l‘apanage de certains extrémistes mais se sont diffusées dans la société. Ces phénomènes renvoient à notre capacité de vivre ensemble, interrogent notre rapport à l’autre. Les Ceméa forment plus de 27 000 professionnels et volontaires du champ socio-éducatif chaque année et les soutiennent dans leur quotidien. Pour faire face à cette réalité, les éducateurs, les responsables associatifs, les décideurs politiques doivent être mieux formés pour appréhender, comprendre, problématiser la diversité culturelle. Il ne s’agit pas de se limiter à une approche techniciste mais de concevoir l’interculturel comme une démarche permettant l’apprentissage de l’altérité dans une visée politique et sociale du « vivre ensemble » du local à l’international. Comme nous l’avons fait dans les rencontres de jeunes au moment de la réconciliation franco-allemande, nous proposons aujourd’hui des espaces de rencontre et de formation permettant de se sensibiliser à différentes langues et cultures, de prendre conscience des stéréotypes et préjugés, de donner à voir de son identité dans une perspective de compréhension et reconnaissance mutuelle. Ce sont aussi des espaces d’innovation, où chacun est amené à expérimenter ses capacités à agir dans un bain culturel, linguistique différent. L’interculturalité demande de l’égalité dans les rapports entre les personnes, elle n’existe pas dans des relations dominants-dominés. Il n’y a pas d’interculturalité sans justice sociale.

Appréhender les enjeux géopolitiques et s’inscrire dans la solidarité internationale

La construction d’une citoyenneté internationale passe par la rencontre de l’autre, la co-construction de projets pour une reconnaissance mutuelle et un avenir commun. C’est ce qui est développé depuis des années avec nos partenaires du pourtour méditerranéen. Mais pour être partenaire dans une construction sociale commune du monde, cela nécessite des projets éducatifs communs à sa compréhension.

Les enjeux autour de la géopolitique (migrations, importation de conflits internationaux) n’ont peut-être jamais été autant médiatisés qu’aujourd’hui. L’éducation à la géopolitique est alors primordiale pour lever des tabous éducatifs et accompagner les personnes dans leur compréhension. Il faut parler du colonialisme, de la question de la Palestine, de la politique de l’ONU, des parcours migratoires… Mais oser aborder ces sujets « brûlants » demandent de travailler autour de plusieurs axes :

– La formation des éducateurs et des éducatrices à des approches différenciées d’une réalité (historique, économique, sociale…) et à une méthodologie pour appréhender une situation méconnue et complexe.

– Le refus de la négation. Combattre par exemple, l’antisémitisme existant chez certains jeunes, nécessite de comprendre la création d’Israël, le colonialisme et le sionisme. Le déni de ce courant politique ne pourra que renforcer l’antisémitisme lui-même et toutes les dérives complotistes.

– un regard croisé des enjeux géopolitiques grâce à une coopération éducative internationale.

La situation européenne et internationale nécessite aujourd’hui de mettre en œuvre ces intentions éducatives. Le contexte économique fragile ne doit en aucun cas être une raison suffisante pour négliger ces enjeux fondamentaux, mais au contraire un argument de plus pour construire par l’éducation un avenir international moins incertain.

 Isabelle Palanchon et Régis Balry

* Le titre de l’article est un clin d’œil à Nicolas Bouvier, écrivain et photographe, auteur de L’usage du monde, 1963


Aller au delà de la simple mobilité physique lors des séjours à l’étranger grâce à l’accompagnement des personnes dans leur préparation et leur retour au voyage, telle est l’action des Ceméa, mouvement d’éducation. Cette éducation à la mobilité fait partie intégrante du projet européen : devenir citoyen européen actif. Entretien avec Sandrine Dickel.

Interwiew de Sandrine Dickel, ingénieure de recherche à l’université de Bordeaux, ancienne directrice de l’Agence Erasmus + France Éducation Formation.

 

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Publié dans Europe, France, Les associations membres