Des espaces de réflexion et d’action

La Ficeméa (Fédération Internationale des Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active) s’est donné la mission de développer des espaces de réflexion et d’action pour les responsables des associations africaines dans le domaine de la  « Petite Enfance ».

Après l’organisation d’un atelier à Rome en 2003, un autre regroupement a pu avoir lieu fin octobre 2007 à Madagascar, grâce au soutien de l’Unesco. Alisera Ramampiandra, Yvette Poli et Albert Varier étaient les animateurs d’un atelier qui a réuni une vingtaine de personnes. Une partie venait du Burkina Faso, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, du Niger, du Sénégal et du Togo. Certaines d’entre elles sont membres du « réseau africain francophone Prime Enfance » (RAFPE), créé à Ouagadougou en 1996. Participaient aussi à cet atelier des membres du Réseau Océan Indien Prime Enfance (ROIPE), créé en 1999 à Antananarivo. Le groupe Petite Enfance de l’Océan Indien comprenant 10 participants dont 5 de Madagascar, 1 de l’lle Maurice, 1 des Comores, 1 de Mayotte et 2 des Seychelles.

L’atelier a permis à ces personnes de cultures et d’expériences différentes, mais toutes concernées par la défense des intérêts de la Petite Enfance, de mettre en commun leurs réflexions et leurs propositions pour améliorer le sort des jeunes enfants et de leur famille en centrant les débats autour de la question :

Quel comportement doit avoir l’adulte pour que l’enfant développe au maximum ses potentialités ?

L’atelier était centré sur cette vraie question posée aux pédagogues puisqu’il s’agit de déterminer ce qui, dans l’éducation d’un enfant, revient à la transmission et quelle est la part de l’apprenant dans le développement de sa créativité.

Le public composé de personnes ayant l’expérience du terrain et de la direction d’animateurs, déjà engagées dans la voie de « l’éducation active » était capable de faire un pas de plus en vue d’animer des formations de formateurs et de rédiger des recommandations bien nécessaires pour que le slogan : « l’enfant au centre des apprentissages » ne reste pas un voeu pieux.

Le travail de l’atelier

Deux situations complémentaires ont été vécues :

Des groupes de réflexion mixtes (Afrique, Océan indien) se sont centrés sur 3 angles d’approche : la connaissance de l’enfant et de ses besoins, la définition des objectifs de l’éducateur enfin les pratiques pédagogiques, tant dans la famille qu’en institution ;

En premier lieu c’est la connaissance de l’enfant de 3 à 6 ans qui a retenu l’attention des participants. L’essentiel mis en évidence, c’est qu’à cet âge l’enfant peut faire un certain nombre de choses, il peut inventer des postures, des manipulations. Quand il ne dort pas, l’enfant est spontanément en activité ; l’éducation doit s’appuyer sur cette activité. D’autre part, il convient de lutter pour l’application effective des droits fondamentaux de l’enfant : sécurité, santé, alimentation, éducation. Enfin il ne faut pas craindre de faire droit à des besoins qui peuvent apparaitre à première vue comme contradictoires : besoin d’activité et besoin de repos, besoin de sécurité et besoin de découverte, besoin de liberté et besoin de limites. En réalité une analyse plus fine montre qu’ils sont plus complémentaires qu’opposés. En tout état de cause, il faut se pénétrer de l’idée qu’un besoin ne peut pas se supprimer. Un besoin insatisfait crée des perturbations dans le développement. Or chaque enfant a ses propres ressources ; les identifier aide les adultes à adapter leurs interventions auprès des petits, mais en outre les capacités psychiques de ces derniers en sortent renforcées.

Le deuxième point abordé concernait les objectifs de l’éducateur : c’est dans les propositions que celui-ci fait que s’incarnent les objectifs. Ceux-ci doivent se concevoir et s’ordonner en vue du résultat final, à savoir un adulte « réussi ». Chacun peut s’en faire une image différente mais il importe qu’elle soit consciente : quelle représentation ai-je d’un enfant ? de l’enfance ? d’un adulte réussi ? bâti autour de quelles valeurs ? Comment rendre cohérentes toutes ces représentations ? Concernant la définition par l’éducateur de ses objectifs, une remarque préliminaire a fait l’unanimité des participants : les objectifs doivent viser les compétences (savoir, savoir-faire) et les valeurs (rigueur, ouverture aux autres).

Les compétences peuvent se construire à travers des apprentissages organisés. Les valeurs, elles, s’acquièrent en vivant selon certaines exigences. Parmi les objectifs faisant consensus, on peut noter :

–    aider l’enfant à devenir un adulte complet, ouvert, tolérant ayant un comportement responsable ;

–    acquérir des habitudes d’exactitude, de rigueur dans le travail ;

–    apporter un soin particulier à développer l’esprit de créativité et d’initiative ;

–    préparer l’enfant à affronter les phénomènes sociaux, y compris la violence, en respectant les approches particulières, liées à son âge, qui lui sont propres ;

–    enfin satisfaire à la « commande institutionnelle » tout en ne transigeant pas sur ses propres objectifs éducatifs : c’est possible, même si c’est difficile.

Enfin ce sont les pratiques pédagogiques dans les institutions et les familles qui ont été questionnées. L’éducation est souvent conçue d’une manière dogmatique, peu favorable au développement des capacités de coopération, d’initiative, de créativité… Comment faire, dans la famille et dans les structures qui accueillent des jeunes enfants, pour que les éducateurs résistent aux idées communément partagées ?

D’abord en favorisant une collaboration étroite entre l’école et la famille afin d’instaurer un dialogue permanent entre parents et éducateurs.

Ensuite en acceptant que l’enfant vive son enfance : l’accompagner, le soutenir, le stimuler en utilisant les ressources du milieu pour enrichir la palette des activités possibles.

Enfin en privilégiant la représentation qui considère que l’école est un lieu de vie où l’adulte est un organisateur qui suscite la coopération : en mettant les enfants en petits groupes de vie « à leur taille », en développant des projets qui nécessitent des relations entre les enfants et avec leurs familles.

Quoi qu’il en soit, l’éducateur doit constamment exercer son esprit critique et se méfier de la routine.

Les pratiques de l’atelier

Après ces échanges fructueux, les participants se sont exercés à quelques pratiques d’activités développant des situations où la prise d’initiative, la créativité, l’invention sont indispensables : l’exploration et l’utilisation du milieu, la pratique de la musique ou des parcours d’équilibre et d’adresse ou encore des jeux, des contes et des récits ont permis pendant une dizaine d’heures de mettre en lumière l’apport de l’animateur et la part d’invention laissée aux participants. Ces expériences ont été vécues avec beaucoup de plaisir et elles ont permis d’illustrer par des situations concrètes les propos plus abstraits des groupes de réflexion.

En outre une conférence sur la maturation du cerveau faite par la directrice (pédiatre) des unités Mère-enfant du CHU de Tananarive a inscrit les travaux de l’atelier dans les dernières découvertes des neurosciences.

L’ensemble des propositions de travail a été très apprécié des participants.

Les cinq idées-force

II n’est pas superflu de développer les cinq idées-force retenues au terme de cet atelier car elles constituent l’expression de préoccupations communes par-delà les différences de contextes.

  1. Chaque adulte-éducateur doit s’interroger pour clarifier les objectifs qu’il poursuit en vérifiant que ses pratiques vont bien dans le sens qu’il souhaite.
  2. Entre les deux attitudes de l’éducateur (privilégier les transmissions et organiser la vie et son cadre), il est préférable de choisir la seconde car elle correspond mieux à la réalité du développement des personnes. II vaut mieux utiliser des méthodes qui mobilisent les capacités des apprenants, les méthodes de « l’éducation active ». L’essentiel de l’action éducative pour les 3-6 ans doit partir de situations réelles de la vie courante.
  1. Cet enfant a essentiellement besoin d’activités et de relations humaines. Les apprentissages trop précoces ne sont pas bénéfiques. Les objectifs du préscolaire ne sont pas ceux de l’école. Le jeu est l’activité fondamentale de l’enfant à cet âge.
  1. Le petit nombre favorise les échanges entre enfants. Les adultes accueillants doivent dialoguer avec les enfants afin que ceux-ci aient le sentiment d’être reconnus, estimés, compris. Cela n’interdit nullement la formulation d’interdits : l’enfant a besoin de règles. L’adulte doit les rappeler et les faire respecter mais dans un rapport de personne à personne.
  1. Les professionnels doivent faciliter les relations parents enfants car l’amour des parents est fondamental pour le développement des enfants. Ils doivent être des militants de l’éducation parentale : les parents sont souvent inquiets quant au jugement qu’on porte sur eux. Un accueil chaleureux peut leur faire beaucoup de bien.

II est inutile d’insister sur l’intérêt de pareils regroupements pour améliorer le sort des jeunes enfants et de leur famille. La formation de personnels qualifiés est décisive pour développer une politique Petite Enfance guidée par l’ambition du développement général de la société grâce à la qualité de la prime éducation.

Yvette POLI, pour la Ficeméa

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Publié dans Petite enfance