Par les Ceméa France
Des tentatives graphiques et ortho-graphiques d’une prise en compte plus égalitaire du féminin dans l’écriture ont fleuri ici et là, plus souvent sur les talus de la contre-culture activiste et sensibilisée que dans les allées des jardins de l’Académie française il faut bien le dire. Parenthèses, tiret, point, E majuscule… ont été essayé.e.s pour rendre visible le féminin dans une phase de créativité tous azimuts, laissant libre cours à chacun de choisir l’élu(e), l’élu-e, l’élu.e, l’éluE… de son cœur.
En novembre 2015, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh)[1] a publié un Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe. Il y préconise, notamment, l’usage du féminin et du masculin dans les messages adressés à tous et toutes : « Pour que les femmes comme les hommes soient inclus.e.s, se sentent représenté.e.s et s’identifient. » En annexe du guide, deux pages se risquent même à jouer sur les pelouses de l’Académie française en faisant des propositions orthographiques, ouvrant ainsi la voie à une certaine harmonisation graphique.
La publication de ce guide n’est pas un acte anodin. Il est un pas supplémentaire sur la route, longue et difficile, d’une égale prise en compte des femmes et des hommes dans la langue française, mais plus largement dans le combat pour l’égalité. A ce sujet, lors de la ratification de ce guide par le Conseil économique, sociale et environnementale le 25 mai 2016[2], Danièle Bousquet, présidente du HCEfh, déclarait : Le langage est politique et les représentations du monde et des êtres qui le peuplent sont tout sauf neutres dans le regard et dans la pensée de nos concitoyennes et concitoyens et in fine dans la persistance des inégalités. […] Nous touchons là à un sujet très important, voire presque tabou. La question du langage, comme la question de la parité, c’est une affaire de pouvoir. Les deux renvoient à la manière dont s’est construite la République française en excluant les femmes. […] Être rigoureux quant à l’utilisation des règles de notre langue n’exclue en aucune manière d’user du langage dans toute sa plénitude, sans avoir à tirer un trait sur la moitié de l’Humanité. C’est pourquoi aujourd’hui notre langue doit refléter l’une des plus grandes révolutions démocratiques qui traverse notre société : l’avènement des femmes comme des égales, comme des citoyennes à part entière.
Si l’initiative du HCEfh n’a pas force de loi en matière linguistique, elle n’en émane pas moins d’une institution de la République. Elle vient à la suite de l’accélération des usages des formes féminines des noms de métiers, encouragée et reconnue par deux circulaires de premiers ministres en 1986 puis en 1998. Ces approches volontaristes se heurtent, alors, souvent aux usages qu’ils froissent, aux conservatismes solidement ancrés et transmis, et sont parfois traités sur le mode de l’ironie quand ce n’est pas celui de la raillerie d’inspiration machiste.
Mais aussi utiles que soient les actes réglementaires pour faire avancer une question, ils ne remplacent pas le débat pour faire cheminer les esprits, pour avancer vers un nécessaire consensus pour ce qui constitue un élément fort du commun d’une nation : sa langue. C’est pourquoi dans ce dossier consacré à l’écriture égalitaire, nous avons voulu faire une place aux échanges. Des points de vue variés, contrastés s’expriment. Parce que la question chemine, questionne, convainc, séduit, agace, énerve dans le pays… et dans notre mouvement.
Cette question est portée dans notre mouvement par différentes associations régionales mais aussi par des groupes thématiques de militant.e.s notamment le groupe national Genre et égalité qui œuvre pour l’égalité femme-homme. Celui-ci a contribué à faire connaître et réfléchir sur la langue égalitaire lors des formations qu’il propose, mais aussi lors d’événements nationaux. A ces occasions, nous pouvons constater qu’il existe un relatif consensus quant au bien-fondé de l’écriture égalitaire qui se heurte aussitôt à une contradiction, à travers l’expression suivante : « utiliser l’écriture égalitaire oui… mais pas moi. »
Pour ce qui concerne notre revue, Vers l’éducation nouvelle, le comité de rédaction s’est donné comme règle de conduite de laisser, désormais, aux auteur.e.s qui le souhaitent la possibilité de publier un texte écrit selon les recommandations du HCEfh. Déjà, en avril 2012, la revue évoquait ce sujet à l’occasion d’un dossier consacré à L’éducation à la parité, à la mixité et au Genre : « Depuis quelques temps, un débat existe autour de l’usage de l’écriture dite « épicène » dans les mouvements pédagogiques et d’Éducation populaire. Les militant-e-s et acteur-trice-s éducatifs s’emparent de cette question politique et linguistique. […] Nous avons estimé qu’utiliser une écriture dite « épicène » uniquement à l’occasion de ce dossier sous prétexte qu’il parle spécifiquement d’égalité femme-hommes serait inefficace, voire hypocrite. » On mesure déjà les évolutions à l’œuvre en quelques années, plus que d’écriture « épicène » ou « féminisée », nous préférons le terme d’écriture égalitaire, le point a été préféré au tiret et il s’agit de proposer cette option graphique de manière continuée. S’essayer à la langue égalitaire n’est-ce pas là un acte à la portée de chacun.e et de tous.tes, une façon de militer concrètement pour l’égalité femme-homme.
Bien évidemment, ce n’est pas à l’échelle de notre mouvement qu’il faudra mesurer l’avancée et la pertinence d’un tel processus. C’est dans les actes du quotidien que se mesurent les évolutions : à la maison, au travail, dans les actes administratifs… à l’école bien sûr… au centre de loisirs, au sport… Les tentatives de l’avant-garde, aussi éclairée fût-elle, ne présagent pas de la popularisation d’une pratique, dans un domaine, la langue, où les évolutions peuvent être aussi lentes que les modes fulgurantes.