Jamais l’actualité n’aura mieux illustré ce que de nombreux mouvements citoyens, associations, collectifs, les CEMEA, Framasoft … défendent depuis des années. « Nos données sont nos données », ceux que nous nommons pudiquement « les réseaux sociaux » ne sont en fait rien d’autre que des machines à agréger nos données personnelles pour les monétiser en données sociales capables d’influer sur nos comportements, notre consommation et parfois même la démocratie !
Parce que « l’éducation c’est agir », nous ne nous sommes pas contentés d’alerter, de sensibiliser, de participer bien avant que ne surgisse la cohorte de « médiateurs du numérique » attirés par l’aubaine -dont l’action pour une partie d’entre eux, ne consiste bien souvent, une fois les recommandations d’usage faites, à entraîner les personnes à l’usage de ces mêmes « réseaux sociaux ». Facebook ne vient d’ailleurs-t-il pas de signer un partenariat avec pôle emploi pour former 50 000 demandeurs d’emploi ?
Que faisons-nous semblant de découvrir aujourd’hui ? Qu’une entreprise, Cambridge Analytica, aurait utilisé des données qu’elle aurait subtilisées à Facebook afin d’influencer les votes de la dernière élection présidentielle aux États-unis (mais aussi sur le référendum du Brexit, même si on en parle moins). Et certains commentateurs de nuancer sous la forme « Facebook s’est fait dérober des données… » Gardons bien en tête qu’il ne s’agit pas de discuter du niveau de sécurité des serveurs FB, si une entreprise extérieure est capable de tels calculs à partir d’informations dérobées, imaginez ce que FB est capable de faire avec l’ensemble de ces données ! Il nous faudra d’ailleurs être vigilants à ce que tout ceci ne se résume pas à FB, cela vaut bien évidement pour Google et consorts…
Alors que faire ? Bien sûr il nous faut continuer sans relâche à sensibiliser, à multiplier les actions « d’éducation critique aux médias » afin de donner à chacun les moyens de comprendre et d’agir en citoyen éclairé. Nous pouvons aussi agir pour que soit régulé l’usage de nos données par ces entreprises. Mais nous le savons bien au fond, la seule façon pour les utilisateurs de limiter l’utilisation de leurs données personnelles par les réseaux sociaux est d’éviter tout simplement d’utiliser ces plates-formes.
Il nous faut donc aller plus loin, plus fort, afin que les citoyens éclairés que nous avons formés puissent avoir un vrai choix. Les réseaux sociaux ne se limitent pas aux services proposés par les GAFAM, de réelles alternatives libres, loyales, éthiques et solidaires existent. C’est à nous, association d’Éducation Populaire, mouvement d’Éducation Nouvelle qu’il appartient de les faire connaître, d’en promouvoir les usages, de contribuer à leur amélioration.
Diaspora (ou Framasphère) , Mastodon , Telegram etc. sont autant d’alternatives possibles. Commençons par les utiliser, les faire connaître. Clamons haut et fort qu’il n’est plus possible que le service public, des collectivités territoriales, les services de l’état… nous gratifient du hélas trop fameux « suivez-nous sur Facebook , ou sur Twitter », insistons pour qu’ils utilisent des services respectueux de nos vies privées. « Bah oui, mais il n’y a personne dessus et en plus c’est moche ! » 1 million d’utilisateurs de Mastodon, quelques dizaines de milliers sur Diaspora, c’est vrai, c’est peu… Mais si chacun-e d’entre nous s’y inscrit et y entraîne son réseau, le problème est résolu ! Former des citoyens éclairés, c’est aussi leur donner les moyens du choix, pas simplement les mettre en garde.
Quant au trop fameux « c’est moche » ou « ça ne fait pas si ou ça » ce qui est souvent vrai, il existe un remède très simple : Contribuons ! Contribuez ! Ces logiciels sont des logiciels libres, développés par une poignée de développeurs souvent bénévoles. Il n’aura fallu que quelques dizaines de milliers d’euros à Framasoft pour salarier le développeur qui bénévolement s’évertuait à construire une alternative à « Youtube », Peer-Tube est né et promis à un bel avenir !
Si nous acceptions l’idée que plutôt que de vendre notre vie au GAFAM en échange de « services gratuits », nous pourrions de donner ne serait-ce qu’un euro par mois aux projets libres que nous utilisons, ces derniers seraient « beaux » et feraient évidemment ceci et cela ! Et parce que chacun-e d’entre nous est compétent en quelque chose, il nous est possible de traduire, de rédiger une documentation, de participer aux tests… Il nous est possible de contribuer à faire de l’internet ce que nous souhaitons qu’il soit !
Décentraliser l’internet !
Voilà maintenant plus d’une décennie que j’accompagne des projets en lien avec « la communauté du libre. Événement le plus récent, dans le cadre de mes fonctions aux Ceméa, j’ai animé une formation avec nos amis de Framasoft où nous avons pu constater ensemble que nos projets étaient très complémentaires. « Contributopia » , le projet Framasoft se revendique de l’Éducation Populaire, nous y ajoutons la patte « Éducation Nouvelle » .
Toutes les conditions sont désormais réunies pour favoriser l’émergence d’un internet décentralisé où nos données ne seront plus stockées dans des silos, attendant d’être analysées et utilisées à des fins commerciales, politiques… mais dans des « AMAP du numérique », à proximité, recréant du lien social parce qu’il nous est possible d’y rencontrer celles et ceux qui les hébergent, parce qu’ils nous est possible de nous y former, d’agir sur les décisions liées à l’ouverture des services sur d’autres instances, bref, d’en être acteur.
En voilà un beau projet d’Éducation Populaire !
Pascal GASCOIN, 21 mars 2018