Le regard sur l’éducation nouvelle et ses valeurs que nous portons aujourd’hui ne peuvent mettre de côté un pan de notre histoire qui a vu monter l’adhésion aux mouvements pacifistes, à l’aube du XXème siècle, nourris de valeurs humanistes et égalitaires.
Pour introduire mon propos, je me réfère à l’histoire de la Ficeméa par un extrait du discours prononcé par Marcel Hicter à l’occasion de sa prise de fonction de président de la Fédération Internationale des Ceméa en 1971 à Paris.
« La culture n’est pas la connaissance, ni l’érudition ; c’est une attitude, une volonté de dépassement personnel total, de son corps, de son cœur, de son esprit, en vue de comprendre sa situation dans le monde et d’infléchir son destin. C’est la priorité que l’on donne au plus-être sur le plus-avoir. »
Pour une fédération internationale inscrite dans le mouvement de l’éducation nouvelle, la culture dans son sens large est cœur du projet politique que nous défendons dans le travail auprès des jeunes, des adultes et notamment des migrant.e.s.
Ainsi, la Ficeméa fait sienne, la définition de la culture, au sens anthropologique du terme, tel que l’UNESCO la définit :
« La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société, un groupe social ou un individu. Subordonnée à la nature, elle englobe outre l’environnement, les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions, les croyances et les sciences. »
L’enjeu est de réinvestir la culture comme vecteur de sens individuel et collectif et sa fonction de « faire société ». En effet, la culture telle que nous l’entendons aux Ceméa est une activité créatrice de sens, support à la construction d’imaginaire propice au développement de la créativité et porteuse de lien social.
Les mouvements d’éducation nouvelle permettent la participation active de la population – et de toute la population – à la création artistique et pas seulement à la consommation culturelle.
Les activités culturelles proposées par les membres de la Ficeméa auprès des migrants et migrantes sont essentielles pour :
- Se former et penser la culture comme une expérience de transformation du réel.
- Développer les projets de la personne se nourrissant d’un collectif.
- Inscrire une pédagogie de l’invention, de l’expérimentation, en contact avec le réel.
- Fabriquer sa propre connaissance.
Ainsi, la création artistique collective est un levier d’expression, de participation, d’émancipation individuelle, collective et donc de changement sociétal.
Au niveau européen, nous avons recensé trois projets emblématiques de notre approche :
Ceméa France, été 2018 : Projet d’accompagnement culturel pendant le festival d’Avignon auprès des mineur.e.s non accompagné.e.s ou, comme ils se définissent, des « chercheurs de paix »
EXTRAIT CRÉATION SONORE ici
Elle se découpe en 3 temps : un premier interview d’Alpha en début du séjour puis des extraits du travail autour de la pièce Thyeste de Thomas Joly et enfin, le témoignage d’Alpha en conclusion du séjour.
Ce séjour a permis :
-
-
D’organiser l’accès, la participation, la présence à la vie culturelle et artistique de personnes particulièrement éloignées de ces espaces de par leurs statuts.
-
De valoriser l’histoire individuelle et collective de chaque personne.
-
De légitimer ces « chercheurs de paix » dans le respect de leurs droits culturels, de proposer un espace de socialisation riche, commun.
-
Leur permettre une mise à distance, une respiration dans un quotidien dur, épuisant physiquement et psychologiquement.
-
Et ainsi valoriser leurs capacités, leurs personnalités et l’importance des liens inter-culturels.
-
Miroir Vagabond : projet d’Alpha-Théâtre
EXTRAIT VIDÉO, 2 min
Les cours d’alpha sont majoritairement fréquentés par des demandeurs d’asile.
Une fois par an, deux semaines de théâtre sont proposées aux 130 apprenant.e.s participant aux cours d’alphabétisation.
L’action se déroule en plusieurs phases :
Elle commence d’abord par des exercices ludiques qui mettent en confiance, qui mettent en relation, qui donnent envie de se lancer dans la pratique théâtrale.
Puis progressivement, des images/photos sont construites à partir de mots, de sentiments et on y introduit des petits bouts de textes.
Ensuite, des dialogues sont appris petit à petit, en prenant le temps de les expliquer et en étant soucieux de la compréhension des textes par l’ensemble du groupe. Ce travail est un des plus importants et se base sur une appropriation collective.
Une attention particulière est accordée au jeu/miroir des mots, à l’écho des mots et à leur répétition. Pour favoriser la compréhension, les mots sont mis en jeu par l’émotion.
Dans un dernier temps, toutes les pièces du puzzle sont rassemblées pour donner une représentation cohérente et aboutie. Les formatrice.eurs, les apprenant.e.s, les familles et amis, les résident.e.s des centres de demandeurs d’asile, les responsables de formation en alpha et la population locale sont invités à assister à la représentation.
Pour le Miroir Vagabond, le théâtre est un vecteur de lien social : il permet aux habitant.e.s d’une commune de partager un moment de théâtre avec des demandeu.se.r.s d’asile : les images négatives s’estompent, à priori et peurs tombent et nous pouvons ainsi envisager le début de cette notion de faire société dans un même territoire.
En s’exprimant théâtralement, en ayant la possibilité de communiquer en français avec les autres et en étant valorisés au moment de la représentation publique, les apprenant.e.s s’épanouissent personnellement, créent du lien social et se mobilisent dans leur parcours de vie grâce à la confiance en leurs potentialités qu’ils ont pu acquérir pendant cette formation.
Fédération Italienne des Ceméa, Interculturalisme : une formation pour les enseignant.e.s
Les enseignant.e.s veulent permettre à toutes et tous l’accès à des meilleures conditions d’apprentissage. Cette route vers l’autonomie s’inscrit dans une adaptation des contenus aux personnes en situation d’apprentissage. En effet, l’éducation active s’inscrit dans des processus d’apprentissages participatifs : les enseignant.e.s proposent des contenus qui prennent sens dans un environnement et permettent à la personne d’expérimenter, de comprendre et de s’autonomiser.
Le but de la formation des enseignant.e.s est d’accroître leurs capacités de comprendre le vécu des étudiant.e.s afin d’identifier les difficultés de leur contexte d’apprentissage. Cette démarche permet aux enseignent.e.s de s’interroger en permanence sur leurs pratiques.
La FIT a crée un module de formation pour les enseignant.e.s travaillant dans les cours d’alphabétisation en langue italienne. A partir de la théorie de la forme de Paul Klee, l’idée est de travailler sur les sonorités d’une langue en comparaison avec la perception des couleurs et des formes.
L’atelier propose aux enseignant.e.s une recherche autour des couleurs et d’images abstraites en lien avec l’écriture de l’alphabet et des sons de la langue chinoise, plaçant ainsi les enseignant.e.s en situation d’apprentissage d’une nouvelle langue. Cette démarche pédagogique a permis de réfléchir sur la problématique de l’apprentissage des langues ; c’est-à-dire, le décodage des sons dans le chaos de la langue afin de mieux la comprendre.
L’objectif est d’accompagner les enseignant.e.s dans l’analyse et la compréhension du mur linguistique auquel se heurtent les migrant.e.s dans l’apprentissage d’une nouvelle langue. A travers ce processus, les enseignant.e.s peuvent se mettre en situation de comprendre l’incertitude interculturelle des migrant.e.s.
Selon le réseau d’enseignant.e.s RETE SCUOLAE MIGRANTI, il est aussi fondamental de comprendre qu’apprendre une langue. La démarche est différente de l’apprentissage d’une langue classique. En effet, un projet migratoire et sa motivation ont un impact sur la méthodologie. Cette pédagogie propose que les éléments d’apprentissage soient des objectifs et non des fondements. Plus d’info en cliquant sur le lien ici.
Pour terminer mon propos, je souhaite mettre en exergue que la question des migrations nous invite, en référence à Édouard Glissant, à sortir des assignations enfermantes et penser nos identités dans la relation à l’autre, au Tout-monde dans cette co-présence des univers, des imaginaires, des espaces et des temps. Et ainsi faire converger nos luttes, faire du un et du pluriel.
Sonia Chebbi