Revenir sur le dogme de la croissance, devenu incompatible avec la contrainte écologique et le bien-être des peuples.
La conférence historique tenue au Parlement européen à Bruxelles sur l’‘après-croissance’ a révélé l’affrontement autour de la question cruciale : est-il possible de découpler les émissions de CO2 des taux de croissance économique et de poursuivre indéfiniment la marche vers une ‘Croissance Verte’ ?
Une conférence historique s’est tenue les 18 et 19 septembre dernier au Parlement européen à Bruxelles, sur l’‘après-croissance’ («Post-Growth»), réunissant scientifiques, politiques et décideurs. L’événement a été organisé par des membres du Parlement issus de cinq partis politiques différents, en collaboration avec des syndicats et des ONG et avait comme objectif d’explorer la possibilité d’une «économie post-croissance» en Europe. La conférence s’est précédée d’un séminaire sur la ‘décroissance’ organisé par l’Université Libre de Bruxelles, qui a réuni des scientifiques venant de toute l’Europe impliqués dans la recherche autour de la décroissance. Nous avons suivi ces quatre jours de débats, en tant que représentants de l’association Polis.
Ce qui nous a impressionné est le parcours de cette notion, marginale jusqu’à présent, qui a réussi à percer le noyau dur des milieux institutionnels et de prise de décision, jusqu’à devenir un objet à débattre au niveau du parlement Européen. L’ouverture de la conférence par Mme Vestager, Commissaire Européenne sur la Concurrence, est significative de l’importance que commencent à accorder à cette notion les milieux institutionnels européens.
En même temps, les débats ont montré clairement que la notion de la décroissance n’est plus un concept traduisant une prise de position ‘philosophique’ et idéologique, mais qu’il est bien un concept opérationnel. A ce propos, plusieurs chercheurs ont présenté des travaux de recherche menés partout en Europe et jusqu’aux Etats-Unis (au sein du MIT), avec des propositions concrètes sur la mise en marche d’initiatives de décroissance au niveau économique.
À titre d’exemple, les exposés comprenaient des études sur la gouvernance et l’élaboration de politiques d’après la croissance, des études de cas sur les mouvements de transition (en Suède, aux Pays-Bas et ailleurs), des initiatives dans le domaine des politiques d’administration municipale, initiatives en matière d’économie circulaire et de politiques de ‘déchets zéro’, initiatives en matière de planification urbaine et de transports, des recherches d’alternatives au PIB et d’instruments et normes de reporting en matière de Responsabilité Sociale des Entreprises, des recherches sur l’empreinte écologique menant à des propositions de consommation durable, ainsi que des propositions de coopération et d’action collective en vue de la mise en place d’une organisation horizontale ouverte du mouvement de la décroissance.
A l’occasion de la conférence un appel aux institutions Européennes a été lancé, signé par 200 scientifiques universitaires, et publié dans les médias de 16 pays européens – à lire ici: (publié par la Libération, Mediapart, L’Echo : <https://www.liberation.fr/debats/2018/09/16/europe-ne-plus-dependre-de-la-croissance_1679117 https://www.liberation.fr/debats/2018/09/16/europe-ne-plus-dependre-de-la-croissance_1679117>) :
“Au cours des sept décennies passées, la croissance du PNB s’est dressée comme l’objectif économique premier des nations européennes. Mais si nos économies ont grandi, l’impact négatif sur l’environnement a augmenté en rapport. Nous dépassons maintenant l’espace de fonctionnement sécurisé pour l’humanité sur cette planète, et il n’y a aucun signe que l’activité économique soit en cours de découplage, à l’échelle qui serait requise, avec l’usage des ressources ou la pollution. Aujourd’hui, résoudre les problèmes sociaux au sein des nations européennes ne demande pas plus de croissance. Cela implique une distribution plus juste du revenu et de la richesse que celle que nous pouvons observer”
Néanmoins, on a senti, durant et après la conférence, que deux conceptions opposées se sont affrontées. Alors que les représentants de la Commission européenne parlaient d’une ‘Croissance Verte’ et étaient convaincus qu’il était possible de découpler les émissions de CO2 des taux de croissance économique, le mouvement Degrowth était (et il est) convaincu du contraire. Il est rapidement devenu évident que des mesures concrètes et des détails d’une société post-croissance ne peuvent pas être clarifiés si la question fondamentale du découplage n’est pas résolue.
Yolanda Ziaka – Polis – Grèce