Moi je m’en fous ! J’ai rien à cacher !

Par les Ceméa France

Regardons-y d’un peu plus près.

Voici quelques affirmations auxquelles nous vous proposons de réagir avant de lire les réponses.

 

– Il est parfaitement possible, à n’importe quel individu, de reconstituer la vie d’une personne postant régulièrement sur le net sans enfreindre aucune loi !

En 2009, il y a déjà 8 ans, le journal le Tigre postait cet article très remarqué : «Bon anniversaire
Marc !» Dans cet article qui reprenait toutes les informations laissées par Marc.L sur le Net, on apprenait ainsi qu’il travaillait pour un cabinet d’architectes situé dans la région nantaise. Ses vacances, ses ex, une grande partie de sa vie était ainsi dévoilée. Tout ceci sans enfreindre aucune loi !

 

– Il est possible, à partir d’un compte Gmail de reconstituer les trajets d’une personne utilisant un «smartphone» ayant activé son GPS !

Vous avez un compte Gmail ? Essayer donc de vous connecter à l’adresse suivante pour vérifier :
Ne soyez pas surpris si dans quelques mois, votre assureur auto vous propose d’adapter votre
contrat à vos habitudes de conduite. Sous couvert de prévention routière, plusieurs assureurs
recommandent (dans peu de temps vous y serez incités financièrement) d’utiliser l’application GPS
Waze (propriétés de Google depuis 2013). Outre les publicités ciblées et géolocalisées que vous ne
manquerez pas de recevoir directement sur le GPS, votre assureur aura désormais accès à toutes les
données concernant vote conduite (trajets, fréquence, vitesse etc.

 

– Désolé, Madame, Monsieur. Nous ne pouvons-vous accorder le prêt bancaire demandé, notre algorithme vous signale comme une personne à risque !

Quoi de mieux pour vous connaître que de scruter le net ? Facebook mais aussi d’autres sociétés
proposent d’ores et déjà des algorithmes aux banques capables de prédire votre capacité à
rembourser ou non !
Plus simplement encore, attention aux applications smartphones souvent très intrusives…

 

– Un réseau social est capable de prédire notre comportement et nous protéger de nous même, par exemple en cas de tendances suicidaires !

Facebook utilise un kit capable de détecter des comportements laissant présager des tendances
dépressives et vous interpelle ainsi que vos amis.
Cette analyse comportementale est appliquée ici à la prévention du suicide. Imaginons maintenant
un algorithme du même type capable par exemple de détecter des tendances homosexuelles, utilisé
dans des pays qui les condamnent et persécutent ces personnes.

 

– Gmail se propose de répondre à vos mails à votre place !

Puisque que Google a accès à votre liste de contacts, à votre agenda, lis vos mails etc. et sait donc quel type d’écriture vous adoptez en fonction de votre interlocuteur, quel soulagement de le laisser répondre lui mail aux mails que nous n’arrivons plus à gérer nous même !
Et d’ailleurs, pourquoi se limiter simplement à un mail ? Grace à «Google assistant» vous pourrez
lui demander (y compris vocalement) de choisir un film pour vous, un cadeau pour vos amis etc. il
vous connaît si bien que son choix ne pourra qu’être judicieux !
et pour celles et ceux qui parlent anglais, une petite démo ?

 

– A partir des objets connectés comme par exemple les montres, des entreprises comme Apple collectent des informations précieuses sur mon état de santé !

Rythme cardiaque, température corporelle, poids, activités physiques toutes ces données sont
accumulées par ces objets connectés que commencent à nous recommander certaines mutuelles.
Vous êtes déjà demandé ce que peuvent devenir ces informations personnelles ?
Et pendant qu’on y est, puisque nous sommes si bien connus, pourquoi ne pas tout simplement se
substituer à notre médecin et nous prescrire des traitements ? Ce serait faire preuve de mauvais
esprit que d’imaginer qu’il puisse y avoir un terrain d’entente avec les entreprises pharmaceutiques…
http://www.huffingtonpost.fr/2014/10/13/sante-google-chat-medecins-internautes_n_5975310.html
Résumons-nous :
Toutes ces entreprises savent donc
– qui je suis
– où je vis, où je travaille, vais en vacances, en week-end, comment je me déplace,
– qui sont mes amis, mes contacts etc.
– lisent mes emails et ont accès à mon agenda.
Elles connaissent aussi :
– mon CV, mon parcours professionnel et très bientôt mon parcours scolaire,
– mes goûts musicaux, culinaires, littéraires, artistiques, etc…
– mon état de santé,
– mes capacités financières,
– sont capables de prédire certains de mes comportements, et de les influencer, etc etc….
et bien entendu, elles n’en font aucun usage lucratif !
Mais, je m’en fous ! j’ai rien à cacher !

 

–  Si finalement vous considérez que c’est quand même un peu trop, voici quelques pistes à explorer et à recommander :

L’incontournable site de la CNIL : https://www.cnil.fr/
Ainsi que «internet sans crainte» : http://www.internetsanscrainte.fr/
Pour aller encore un peu plus loin et agir :
Le site de nos amis Framasoft , Dégooglisons internet : https://degooglisons-internet.org/
Un ouvrage de Christian NITOT ( actuellement Chief Product Officer de Cozy Cloud, créateur de
Mozilla Europe et membre du Conseil National du Numérique). Cet ouvrage aide non seulement à
poser un regard lucide et analytique sur la société de surveillance dans laquelle nous vivons mais
offre aussi des moyens de reprendre le contrôle de notre vie numérique.
Surveillance:// Les libertés au défi du numérique : comprendre at agir
«Google, un nouvel avatar du capitalisme, celui de la surveillance».
Un esssai remarquable deShoshana Zuboff, professeur émérite à Charles Edward Wilson,
Harvard Business School. Cet essai a été écrit pour une conférence en 2016 au Green Templeton
College, Oxford. L’article original en anglais paru dans le Franfurter Allgemeine Zeitung : The Secrets of Surveillance Capitalism a été traduit par nos amis de Framasoft sur cette page : https://framablog.org/2017/03/28/google-nouvel-avatar-du-capitalisme-celui-de-la-surveillance/
Et pour finir, Citizenfour, un film documentaire réalisé par Laura Poitras , sorti en 2014. Il traite des révélations d’ Edward Snowden sur le scandale d’espionnage mondial de la NSA

 

«Prétendre ne pas s’inquiéter pour sa vie privée parce qu’on n’a rien à cacher revient à dire qu’on se moque de la liberté d’expression parce qu’on n’a rien à dire.»

Edward Snowden
image_pdfTélécharger au format PDF
Publié dans Documents de référence, Education au numérique, Marchandisation de l'éducation, Ressources thématiques

Une nouvelle résolution de l’ONU exhorte les Etats à agir contre la marchandisation de l’éducation

thumbnail of communiquénouvelle résolution

thumbnail of communiqué 3

image_pdfTélécharger au format PDF
Publié dans Documents de référence, Marchandisation de l'éducation, Ressources thématiques

L’abus de Google à l’École peut nuire gravement à notre société…

Par les Ceméa France et la Ficeméa

L’éducation est un terrain de jeu mondial fructueux pour les grands groupes du numérique nommés les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et d’autres en quête de nouveaux marchés à conquérir. Cette transformation des systèmes éducatifs touche tous les pays du monde. Face a ce phénomène, la fonction de l’État devrait être de réguler les services éducatifs, de s’assurer que ces nouveaux supports et usages numériques bénéficient à l’intérêt public, aux services des élèves des professeur.e.s et des acteurs socio-éducatifs. Ce faisant, les usages du numérique devraient s’inscrire dans une politique publique en tant que bien commun.

L’exemple de ce qui se passe actuellement en France illustre tristement cette dérive mondiale et est de nature à sonner une nouvelle fois l’alarme ! Le ministère de l’éducation nationale français propose de donner accès aux données numériques des élèves et des enseignant.e.s aux GAFAM . Ainsi, il deviendrait le partenaire de ces groupes et ouvre les portes à l’introduction des GAFAM dans l’institution scolaire. Mathieu Jeandron, Directeur du Numérique pour l’Éducation au ministère autorise à travers une lettre adressée aux Délégués Académiques du Numérique (DAN) la connexion des annuaires de l’institution avec les services Google !1

Comme indiqué dans l’article du Café Pédagogique, « L’enjeu, ce sont les données des élèves. Les entreprises auront accès aux annuaires des établissements et aux informations nominatives sur les élèves et les enseignants. Elles pourront suivre les déplacements et redoublements des uns et des autres, voir ce que le professeur X utilise comme ressource ou ce que fait l’élève Y. Ces données seront une manne pour le ciblage publicitaire ou pour revendre des informations à des partenaires ». L’objectif sous-jacent est de développer des « pédagogies » inscrites dans une volonté de profit, de produire de futurs consommateurs de produits. Cette tendance est déjà hélas largement à l’œuvre dans de nombreux pays du monde. Lire à ce sujet l’excellent article de Natasha Singer « How google took over the classroom » dans le New York Times .2

Si ce courriel du Directeur du Numérique pour l’Éducation devait devenir une circulaire, ce serait, après l’accord Microsoft5, une ouverture grave de l’éducation aux marchés et un abandon coupable de la protection que l’État doit à ses citoyens.6

Nous assistons actuellement, à l’échelle mondiale, à la substitution des financements publics (nationaux et internationaux) par des financements issus de partenariats confiés à des sociétés privées qui ont plus des objectifs de profit que des visées d’éducation de la population. La tentative globale d’inclure l’éducation dans la sphère des rapports marchands n’est pas nouvelle. Mais l’irruption du « numérique » a fait entrer ce processus dans une nouvelle ère. Elle ne vise plus seulement l’enseignement en tant qu’activité de service mais massivement les ressources et contenus éducatifs en tant que « produits pédagogiques ». Ceci inclut des « modèles d’éducation » dont nous savons qu’ils ne sont pas neutres et plus dramatiquement encore la collecte et la privatisation de données précieuses à exploiter !

Selon les principes de l’appel des réseaux internationaux contre la marchandisation de l’éducation « L’État doit garantir que l’éducation ne soit pas instrumentalisée par les acteurs économiques et que soient appliqués les principes soutenant la démocratie tels que les principes de transparence, participation et responsabilité. »

En analysant cette nouvelle orientation politique du ministère de l’éducation nationale français sous le prisme de ces trois principes nous constatons que le processus marchand à l’œuvre est en contradiction avec l’idéal démocratique que nous défendons.

Transparence

L’ouverture au GAFAM contredit l’idéal de transparence de par le flou concernant l’utilisation des données des élèves et des enseignant.e.s par les groupes numériques. La récolte des données est une arme économique majeure. Cette récolte est stockée hors des frontières de collecte, posant la question majeure de la souveraineté des données. Les informations récoltées peuvent ensuite être vendues ou échangées dans une totale opacité pour les citoyen.ne.s. En laissant les GAFAM s’immiscer dans les pratiques des élèves dès le plus jeune âge, ces grands groupes ne les considèrant pas comme des apprenant.e.s mais de futur.e.s consommateurs.trices, l’Etat les rend vulnérables en ne jouant pas son rôle de régulateur.

Participation

Le numérique est et doit demeurer un support, un outil au service d’un projet pédagogique. Il ne faut pas confondre l’outil et la finalité de cet outil. Ce qui prime c’est la relation pédagogique, la construction du savoir par les élèves, la formation des enseignant.e.s, des acteurs.trices socio-éducatif.ve.s mais aussi la relation que les élèves créent avec les outils numériques en dehors de l’asservissement.

Les usages numériques transforment profondément les pratiques pédagogiques. Or, nous devons nous réapproprier ces outils, ces données pour en faire un bien commun accessible à tous et toutes.

Responsabilité

L’approche du numérique portée par les GAFAM met en péril une appropriation émancipatrice de ces outils par les citoyen.ne.s. Le numérique est envisagé comme un espace réservé aux expert.e.s et le grand public ne se considère pas armé pour comprendre, analyser les enjeux actuels. La responsabilité de l’État est d’offrir un cadre de régulation, de protéger les citoyen.nes, d’introduire une réflexion critique.

Dans ce contexte international, nous militons pour la prise en compte dans le débat public (national, européen et mondial) des sujets liés au numérique comme objets intégralement politiques, sociétaux et philosophiques. Nous soutenons que le rôle des États est d’encourager et garantir les services, les logiciels et les écosystèmes qui donnent aux individus une capacité de critique, de conserver et d’accroître leur souveraineté numérique individuelle. Il est urgent d’informer les citoyen.ne.s sur les dérives en cours, réintroduire une critique de la question numérique par la formation et de sensibiliser à l’usage des logiciels libres, des services en ligne loyaux, décentralisés, éthiques et solidaires.

 

  1. Le Directeur du Numérique pour l’Éducation explique que tout ceci s’inscrit dans le cadre d’une charte de confiance  décrite comme un  «pacte de confiance portant sur l’engagement de la protection de la vie privée des élèves et des enseignants ». Cette charte est certes au travail mais n’existe pas pour le moment, la CNIL interpellait d’ailleurs il y a peu sur l’urgence « Il est temps de mettre un cadre à toutes ces offres économiques » insistant sur le fait que « ce document devait être un outil contraignant (circulaire ou autre), robuste. Sur ce point-là, nous n’avons aucun élément de réponse à ce stade. »34

 

Contacts presse

CEMEA France : pascal.gascoin@cemea.asso.fr

Pascal Gascoin, Chargée de mission éducation-numérique

FICEMEA : sonia.chebbi@ficemea.org

Sonia Chebbi, Déléguée permanente de la Ficeméa

1-Voir article du Café Pédagogique, par François Jarraud, 16 mai 2016

2-Voir article de Natasha SINGER dans le New York Times, How google took over the classroom, 13 mai 2017.

3-Pour la CNIL, “la France doit garder la souveraineté de ses données scolaires”, par Céline Authemayou, 26 avril 2017.

4-Communiqué du 22 mai de la CNIL, 23 mai 2017.

5-Voir le texte de l’accord de partenariat entre Microsoft-Ministère de l’Éducation.

6-TV5 Monde : « Éducation nationale, les données scolaires bradées aux GAFAM ? Par Pascal Hérard 21 mai 2017.

Premiers signataires

PABUL
ABULEDU-FR
ACCP (Espagne)
AFUL
APRIL
asbl RTA  [Association Nationale Scientifique de Jeunes ’’Découverte de la Nature’’ Algérie.
CAEB
CASAD-Bénin
CEDEM
CEMEA Belgique
CEMEA Burkina Faso
CEMEA France
CEMEA Russie
CEMEA Suisse 
CEMÉA Suisse du Tessin
CEMTI Université Paris 8 Vincennes
Collectif des travailleur·se·s précaires de l’ESR RITIMO
CRAP
Education&Devenir
EEDF
FCPE
FG PEP
FICEMEA
FRAMASOFT
GFEN
Guépier d’Afrique (RD Congo)
Gyerekparadicsom (Hongrie)
ICEM
JEVEV ONG
La Quadrature du Net
Le Planning
Le Réseau Ivoirien pour la Promotion de l’Education Pour Tous (RIP- PT)
PAPDA (Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif)
Le réseau RITIMO
UNAFETPCI Union Nationale des Formateurs de l’Enseignement technique et Professionnel de Côte d’Ivoire

 

 

 

image_pdfTélécharger au format PDF
Publié dans Documents de référence, Education au numérique, Marchandisation de l'éducation, Ressources thématiques

Altérité et moi : pour une Algérie plurielle et respectueuse des différences

Par l’association Graine de Paix

Certaines grandes villes en Algérie, et plus singulièrement Oran, ont été pendant ces 20 dernières années considérées comme des lieux de refuge et d’exil pour beaucoup et ce à différents niveaux. D’une part avec les événements liés à la décennie noire, car la région d’Oran a été une des régions touchées par la guerre civile, en particulier vu sa proximité avec les zones très touchées, telles Mascara, Relizane, Tiaret, Chlef, Tissimsilet, Tlemcen, et la grande périphérie d’Oran. Le terrorisme a enclenché des mouvements de migration interne, et Oran n’a donc pas échappée au fort impact que cela a généré, à savoir renfermement des esprits, violence, frustrations, peur ou encore intolérance. Et d’autre part avec l’accueil des migrants subsahariens, de plus en plus présents, visibles et plus récemment encore les réfugiés syriens qui entraine plus spécifiquement de la violence liée au racisme et la discrimination. Aujourd’hui on y retrouve donc des cultures différentes devant vivre ensemble au sein de différents quartiers, se fréquentant en milieu scolaire ou dans la rue mais avec beaucoup de préjugés et de discrimination entre chacun.

Dans le cadre de son projet « Altérité et moi : pour une Algérie plurielle et respectueuse des différences », Graine de paix vise à contribuer à la construction d’un meilleur vivre ensemble en Algérie en favorisant l’échange interculturel et l’épanouissement de valeurs humaines et égalitaires. Plus spécifiquement, elle ambitionne à contribuer à la prévention des comportements discriminatoires et violents auprès des jeunes et des enfants. Ces derniers vivent de nombreuses violences, trop souvent engendrés par un régionalisme et des préjugés, que ce soit en milieu scolaire ou dans la famille, ainsi ce projet se veut un véritable mécanisme de transformation sociale en vue de bâtir une société inclusive, plurielle et ouverte sur le monde. Pour cela, il est prévu de mettre en place des échanges interculturels, lors d’un chantier d’été et d’une caravane du printemps, avec des jeunes venus de l’étranger et des jeunes des différentes villes algériennes, afin de permettre une assimilation commune de ce qu’est l’interculturalité mais aussi une occasion de mettre en place des outils pédagogique servant à la transmission des concepts acquis. A cet effet, des outils de sensibilisation, tel que l’adaptation de l’outil pédagogique « Voyage magique d’un certain zéro » accompagné d’une exposition itinérante, et l’édition de produit audiovisuel, seront produits et diffusés lors des différentes animations prévues dans les différentes régions ciblées.

Ensemble les jeunes vont réaliser des sensibilisations envers les enfants, les jeunes représentants l’Algérie de demain, mais également à l’égard des adultes, pour aider à la construction d’une Algérie plurielle et fier de l’être dans le respect de ses diversités. L’éducation à l’interculturalité et le vivre ensemble nous paraît le moyen le plus opportun pour palier à cette situation, encourageant ainsi l’échange et le dialogue comme deux composants importants permettant la découverte de « l’autre » au-delà des stéréotypes et des préjugés.


« Le voyage du chiffre 0 »
C’est un outil pédagogique qui permet de retracer le parcours du Zéro et des autres chiffres. Ce voyage tend à l’appréhension et à la compréhension des interactions qui se sont produites par l’intermédiaire des rencontres ou des confrontations des traditions culturelles entre elles, de l’Inde à l’Europe en passant par l’Algérie. Cet outil questionne les certitudes et promeut les apports des autres cultures à partir de la thématique « des chiffres arabes ». Elle se fonde sur le doute à l’encontre des vérités établies et transmises sans aucun esprit critique. Cet outil est l’histoire des chiffres indiens (d’un point de vue culturel et non mathématique) dans son interaction avec d’autres cultures. Comment ces chiffres appartiennent-ils, culturellement, au monde entier. Il tente de réunir des faits comme tant d’outils de questionnement et d’interprétation critique.

Partenaires

Le CISP commute  internationale pour la survie des peuples c’est un organisme italien
Le centre Omar Alkhayam Bruxel
Association SOS femme  violentées Alger
Souna ELhayet  Djanet
Inssaf Sétif
SID de akbou
Randonneurs de Bejaia
Banquet de Platon Sudi Belabes
Étoile culturelle d’Akbou

image_pdfTélécharger au format PDF
Publié dans Afrique, Algérie, Graines de paix, Les associations membres

Les Ceméa Taranto dans le terrain de la petite enfance

Par les Ceméa de Taranto

Dans le cadre de leur 10eme anniversaire les Ceméa Taranto, situé dans le sud d’Italie, ouvrent une structure dédiée à la petite enfance (0/3 ans).

La Crèche et le service socio-éducatif se nomme « BET ANAWIM – Maison des petites et des petits ». Elle est un service d’utilité publique. Le nom de notre crèche prend son origine dans la langue Hébraïque ancienne : BET signifie MAISON DE – ANAWIM signifie : petit.e.s, des derniers/nières arrivé.e.s.

La structure appartient à la mairie de Martina Franca[1] et la gestion et l’intervention éducative sera menée par l’équipe des Ceméa Taranto.

Cet espace d’éducation et d’expérimentation s’inspire de la pédagogie Montessori et des pratiques de l’Education Nouvelle. 26 jeunes enfants pourront être accompagnés par les éducatrices/eurs à la découverte de la connaissance, des savoirs, pour développer les 101 langages inspirés de la pédagogie Reggio[2].

La pédagogie de ce lieu est d’articuler à la fois les dimensions théoriques et pratiques.

Ce projet pédagogique assure la qualité éducative de l’accueil de l’enfant par plusieurs axes de travail:

  • Les professionnel.le.s engagé.e.s sont formé.e.s par les Ceméa. Les principes du mouvement des Ceméa seront toujours présents dans les actions éducatives, dans la relation envers les familles, et dans le territoire à proximité de la crèche. Nous souhaitons créer un lieu de rencontres pour les citoyen.ne.s et de promouvoir le lien social.
  • Le service éducatif visera à la mise en place d’activité permettant la formation de l’individu par un processus de conscientisation et de formation de l’identité de chacun.e.
  • La crèche sera un lieu d’expérience pour les enfants et les adultes où la priorité sera donnée à l’AGIR, au FAIRE. L’action éducative sera tournée vers la relation à l’autre dans une perspective d’émancipation des personnes.
  • Un espace sera dédié aux familles afin de co-construire des projets pédagogiques pour les enfants ayant des besoins éducatifs spécifiques liés à des syndromes ou des pathologies.
  • La crèche sera un espace de rencontres interculturelles.
  • Ce projet défend l’éducation au pleine air.

L’intervention des Ceméa Taranto s’inscrit dans les murs de la crèche et dans son environnement immédiat dans le nouveau quartier du petit village. Il est possible offrir des espaces en pleine air pour la création de festival sur les arts, de journées dédiées aux familles, aux jeux dans les rues et aux loisirs.

A quelques mètres de la crèche, il y a aussi une salle avec des zones dédiées au sport à proximité. Nous développerons certaines techniques d’expérimentation pédagogiques sur la motricité avec des activités telles que la capoeira, des ateliers en plein air et des parcours sur le bien-être psycho-physique.

 

———————————————————————————————————————

[1] un petit village à nord-ouest de la ville de Taranto

[2] La pédagogie Reggio est une philosophie et une pratique de l’éducation, à l’origine pour les jeunes enfants, développées au cours des années 1960.   les enfants ont une motivation et une capacité extraordinaire d’apprentissage de toutes choses ; il suffit de ne pas l’empêcher et d’en fournir les moyens ; ce sont les enfants et autres apprenants qui apprennent ; ce ne sont pas les enseignants qui inculquent, encore moins la pensée, l’expressivité ou la créativité ; les enfants et adultes coopèrent pour le bien de chacun et de tous, et de la communauté. Source Wikipedia.

image_pdfTélécharger au format PDF
Publié dans Europe, Italie, Les associations membres, Non classé

Témoignages d’engagement

Par les Ceméa Sénégal

Dans le cadre d’une Recherche action intitulée « Jeunes, inégalités sociales et périphéries » réalisée avec la psycho-sociologue Joëlle Bordet, les Ceméa Sénégal ont compulsé des témoignages d’engagement de jeunes femmes et jeunes hommes originaires des différentes régions du Sénégal et ont réalisé cette vidéo.

Quatre questions ont constitué la trame de ces témoignages :

  • Quelles sont les problèmes que vous rencontrés ?
  • Quels sont vos engagements ?
  • Quelles sont les actions que vous avez menées ?
  • Quelles sont vos perspectives ?

 

Cliquez sur le titre pour lire cette vidéo

FILM_Les jeunes des CEMEA sont engagés
image_pdfTélécharger au format PDF
Publié dans Afrique, Les associations membres, Non classé, Sénégal

Rencontre francophone sur la privatisation et la marchandisation de l’éducation

Du 23 au 26 octobre s’est tenu la deuxième rencontre francophone sur la marchandisation et la privatisation de l’éducation à l’Institut de la Francophonie pour l’Éducation et la Formation à Dakar. Cet événement a réuni dans leur diversité 105 délégués issus de 25 pays dans l’objectif de trouver des réponses communes face à la croissance alarmante des acteurs privés dans le secteur éducatif. Partageant l’ambition de construire une éducation publique de qualité, capable d’agir pour que les personnes acquièrent la possibilité (en termes de compétences, de capacités, de désir et d’imaginaire) de se projeter dans la société et d’en définir ses évolutions, ces quatre jours se sont articulés autour de savoirs théoriques mais aussi à partir du travail de terrain.
Les deux premiers jours ont été l’occasion d’échanger sur les enjeux liés à la marchandisation de l’éducation. Lors de la cérémonie d’ouverture, hôtes, partenaires et organisateurs ont pris la parole pour exprimer leur point de vue sur ce phénomène grandissant. La philosophie du réseau francophone contre la marchandisation de l’éducation, qui regroupe les organisateurs de la rencontre, entend promouvoir l’éducation comme l’un des moteurs du développement de nos sociétés. Or, la plénière sur l’état des lieux de la privatisation et de la marchandisation de l’éducation a montré à quel point cette tendance risque de transformer en profondeur les systèmes éducatifs non seulement en termes de dégradation de la qualité des contenus pédagogiques mais aussi de renforcement des discriminations et inégalités. Des représentants étatiques (Belgique, Bénin, Burkina Faso, France, Haïti, Sénégal) et des organisations internationales (UNESCO, CONFEMEN) ont pu également partager leur expérience sur ces enjeux, ce qui a permis d’approfondir la connaissance des contextes variés dans lesquels elle opère.
Si chaque pays doit faire face à des problématiques bien spécifiques, la marchandisation de l’éducation requiert à la fois la nécessité d’une éducation publique forte et la régulation du secteur privé tout en posant la question des roblèmes relatifs à la perte de cohésion sociale et enfin des conditions de recrutement, de travail et de formation des personnels éducatifs. Ces quatres enjeux ont fait l’objet d’ateliers tournants lors d’un après-midi afin de dégager les préoccupations puis les réponses liées à l’émergence d’une vision de l’éducation comme bien marchand.
En effet, face à ces dangereux développements, il est crucial de préciser le modèle de société que nous défendons ensemble et la place que l’éducation occupe aujourd’hui dans nos vies. Quel type d’éducation ? Quel avenir sociétal voulons-nous pour les générations à venir ? Quelles possibilités ouvrons-nous aux jeunes et adultes de demain ?
Ainsi la question de la marchandisation et de la privatisation de l’éducation est une question  minemment politique car elle interroge la manière dont nous souhaitons, en tant que citoyens et citoyennes, organiser et repenser nos sociétés. Assujettir la formation à l’emploi, placer l’éducation sur les logiques de marché, monnayer le champ des activités périscolaires revient à détourner l’éducation de son objectif principal. Outre les problèmes énoncés ci-dessus, la marchandisation et la privatisation de l’éducation ont été interrogées au travers de cinq autres thèmes lors des ateliers simultanés du mardi après-midi.
L’état des lieux sur la marchandisation de l’éducation ainsi que la mise en valeur de ses enjeux majeurs ont ouvert la discussion sur les Principes directeurs de droits de l’Homme relatifs aux obligations des Etats concernant les écoles privées. Dans le contexte de la rencontre-favorisant la synergie entre une diversité d’organisations-, la finalité de ces Principes n’a pas fait consensus auprès de l’ensemble des acteurs et actrices de la défense du droit à l’éducation. Suite à un débat aussi nécessaire qu’enrichissant, il est important de noter que ces Principes n’ont pas pour objectif de légitimer les acteurs privés par la reconnaissance de leur existence. Ils permettent plutôt de poser des bases empruntant aux cadres et recommandations légales pour réguler ces acteurs et servir d’outil juridique pour les organisations qui entendent mener un plaidoyer auprès de leurs États. Les participant.e.s ont été invités à commenter et exprimer leur opinion sur ces Principes Directeurs, en cours d’élaboration.
La dernière partie de la rencontre s’est construite autour de la stratégie du réseau, déclinée en quatre lignes directrices : gouvernance/structuration, recherche/études, communication/campagne et suite de l’appel francophone contre la marchandisation de l’éducation. Cet appel, socle commun de cette rencontre, a pour vocation d’alerter les pouvoirs publics et les acteurs de la société civile, de les sensibiliser aux dangers inhérents au processus de marchandisation de l’éducation et de les engager à contrer ce phénomène. Ces ateliers ont permis de définir les prochaines étapes du travail en réseau. Nous nous sommes engagés, à la suite de la réunion, à travailler ensemble, en synergie afin de bâtir un plan d’action complet pour le réseau francophone que nous constituons. Un élément important de ce plan comprendra l’approfondissement du travail de recherche sur la marchandisation de l’éducation.
Cette rencontre a ainsi mobilisé nos convictions, nos espoirs, mais aussi nos propositions pour constituer une force de résistance et de propositions car des solutions existent et nous ne pourrons réussir cela que si nous réaffirmons le rôle des États comme base essentielle des systèmes éducatifs et si ensemble, nous promouvons un système public fort d’éducation pour garantir la qualité de ce Droit.
image_pdfTélécharger au format PDF
Publié dans Le réseau francophone, Marchandisation de l'éducation, Ressources sur la marchandisation, Ressources thématiques Tagués avec :

Les dates clés du parcours de Frantz Fanon

Cette présentation est tirée de l’article de Jean François Gomez 1. Il a suivi de près les étapes de la vie de Frantz Fanon décrites par Alice Cherki, dans son ouvrage«Frantz Fanon, portrait»2. Alice Cherki a bien connu Frantz Fanon, elle a travaillé à ses côtés, en Algérie et en Tunisie, dans son service psychiatrique, et a partagé son engagement politique durant la guerre d’Algérie.

  • 1925 : Il est né à Fort-de-France dans une famille nombreuse de petite bourgeoisie.
  • 1930-1943 : Il fait ses études secondaires au lycée de Fort-de-France. Il y découvre une culture de la colonisation et du métissage des cultures.
  • 1944 : Il s’engage dans un bataillon de volontaires à 19 ans et découvre à l’intérieur de la vie militaire des comportements racistes et des ségrégations institutionnalisées qui le bouleversent et le révoltent profondément.
  • 1945 : Il reprend ses études à Fort-de- France, où il a comme professeur le poète et essayiste Aimé Césaire, fondateur du concept de « négritude ».
  • 1946-1951 : Il entreprend dés études de médecine à Lyon et s’intéresse aux écrits de Marx, Freud et Lacan, il suit les cours de Merleau-Ponty et de Leroy-Gourhan.
  • 1951 : Il soutient sa thèse de docteur en médecine psychiatrique.
  • 1952-1953 : Il prépare le concours d’internat des hôpitaux psychiatriques et le réussit, il devient Médecin interne à l’hôpital-hospice de Pontorson, où il se donne comme objectif de « rendre la parole au malade », son engament provoque un conflit avec l’administration et engendre une « grève des malades ». Intéressé par l’ethnopsychiatrie, il écrit une lettre à Senghor pour essayer de travailler à Dakar, mais la lettre restera sans réponse. Il postule donc en Algérie à Blida et prend ses fonctions à l’hôpital psychiatrique de Blida où il introduit une thérapie sociale originale inspirée de son travail à Saint-Alban.
  • 1955 : Il voit sa réputation s’étendre et décide d’ouvrir une école d’infirmiers à l’hôpital de Blida. Il s’engage auprès des CEMÉA à l’occasion de stages de formation pour les personnels.
  • 1957 : Il publie au éditions du Seuil «Peau noire, masques blancs»3. Il démissionne de son poste de médecin-chef de l’hôpital de Blida et reçoit aussitôt un arrêté d’expulsion. Il rencontre et collabore avec les dirigeants Front de Libération Nationale(FLN).
  • 1958 : Il manifeste de plus en plus d’intérêt pour le continent Africain. A la même année, il publie «L’an V de la révolution algérienne».4
  • 1960 : Il découvre à Tunis qu’il est atteint d’une forme sévère de leucémie et écrit en urgence «Les damnés de la terre»5.
  • 1961 : Il rencontre Sartre et Beauvoir. A sa demande, Sartre lui rédige la préface des «Damnés de la terre». Il se rend aux États-Unis pour être soigné.
  • 1962 : Il meurt à 36 ans d’une leucémie, quelques mois avant l’indépendance de l’Algérie et peu de temps après la publication de son ouvrage. Il est inhumé en terre algérienne conformément à sa demande.

 

1 Gomez Jean-François, « Frantz Fanon, quelques dates repères d’une vie fervente », VST – Vie sociale et traitements, 2006/1 (no 89), p. 19-20. DOI : 10.3917/vst.089.20.

URL : http://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2006-1-page-19.htm

2 Alice Cherki, Frantz Fanon, Portrait, Paris, Le Seuil, 2000.

3Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris, Le Seuil, 1952.

4Frantz Fanon, L’an V de la révolution algérienne , Paris, Première édition, 1958.

5Frantz Fanon, les Damnés de la terre , Paris, le Seuil , 1961

Bibliographie, source wikipédia

 

image_pdfTélécharger au format PDF
Publié dans Actualité, Dossiers, Education nouvelle, France, Ressources thématiques

Frantz Fanon et les droits humains aujourd’hui

Par Emmanuel Jos

Professeur de droit public

Université des Antilles et de la Guyane

Membre du Centre de Recherche sur les Pouvoirs Locaux dans la Caraïbe (CRPLC, UMR CNRS n° 8053)

Membre de l’Institut des Droits de l’Homme de la Martinique (IDHM)

 

Cinquante ans après la disparition de Frantz Fanon, intervenue des suites d’une leucémie, le 6 décembre 1961, à l’âge de 36 ans, nous sommes invités à nous remémorer sa vie et à lire ou relire ses écrits.

Remémorer sa vie. Une vie toute entière donnée. Toute entière engagée pour l’avènement d’un monde plus humain.

Dans l’hommage remarquable qu’il lui a rendu, Aimé Césaire écrit : « Vie courte, mais extraordinaire. Brève, mais fulgurante, illuminant une des plus atroces tragédies du XXème siècle et illustrant d’une manière exemplaire la condition humaine, la condition de l’homme moderne ».

Une vie de médecin psychiatre engagée au service des victimes de traumatismes psychiques et de névroses consécutives notamment aux violences subies et aux processus de dévalorisation du moi.

Une vie de militant anticolonialiste engagée auprès des combattants algériens à la conquête de leur liberté.

Une vie de militant tiers-mondiste postulant de nouveaux rapports Nord-Sud.

Une vie d’intellectuel engagé qui par ses écrits et ses conférences a voulu explorer, dans le contexte de son époque, les voies d’un nouvel humanisme. Exploration qui nous interpelle encore aujourd’hui, tant il est vrai que nous sommes toujours en quête de ce nouvel humanisme.

Lire ou relire Fanon aujourd’hui, ce n’est pas rechercher des recettes, des réponses toutes faites, une doctrine à laquelle il faudrait adhérer. Lire ou relire Fanon aujourd’hui, c’est se laisser interpeller par  un foisonnement de pensées qu’il nous laisse en héritage notamment dans ses trois œuvres majeurs Peau noir, masques blancs (Editions du seuil, 1952), Les Damnés de la Terre (Editions Maspero, 1961, 1970) et L’an V de la révolution algérienne (Cahiers libres n° 3, François Maspero, 1959) .

Sur la façon d’aborder ses écrits Fanon lui-même nous donne une indication :

« Je n’arrive point armé de vérités décisives.

Ma conscience n’est pas traversée de fulgurances essentielles.

Cependant, en toute sérénité, je pense qu’il serait bon que certaines choses soient dites. »

Peau noire, masques blancs, p.5

Il était bon, en effet, que certaines choses aient été dites, mais ces choses là méritent encore, pour beaucoup d’entre elles, d’être entendues aujourd’hui car elles s’inscrivent dans une démarche éthique débouchant sur une pratique, une praxis, celle de la construction d’un monde plus humain et plus juste.

Le sens de sa démarche, l’éthique, qui irradie son action et ses écrits, l’éthique qui donne sens à son engagement et cohérence à l’ensemble de ses écrits, il l’a explicitée tout au long de ses œuvres en particulier dans Peau noir masques blancs. C’est une éthique de l’hominisation, c’est à dire de la construction de l’Homme, par la liberté créatrice et par l’amour. La parole de Fanon est d’autant plus crédible qu’elle jaillit de son engagement.

Voici quelques extraits parmi les plus significatifs :

Peau noire, masques blancs, p.5 :

« Vers un nouvel humanisme…

La compréhension des hommes…

Nos frères de couleur…

Je crois en toi, Homme…

Le préjugé de race…

Comprendre et aimer… »

 

Peau noire, masques blancs p. 180 :

« Nous avons dit dans notre introduction que l’homme est un oui. Nous ne cesserons de le répéter.

Oui à la vie. Oui à l’amour. Oui à la générosité.

Mais l’homme est aussi un non. Non au mépris de l’homme. Non à l’indignité de l’homme. A l’exploitation de l’homme. Au meurtre de ce qu’il y a de plus humain dans l’homme : la liberté.

Le comportement de l’homme n’est pas seulement réactionnel…

Amener l’homme à être actionnel, en maintenant dans sa circularité le respect des valeurs fondamentales qui font un monde humain, telle est la première urgence de qui après avoir réfléchi, s’apprête à agir. »

 

Peau noire, masques blancs p. 186 :

« Je me découvre un jour dans le monde et je me reconnais un seul droit : celui d’exiger de l’autre un comportement humain.

Un seul devoir. Celui de ne pas renier ma liberté au travers de mes choix ».

« Je dois me rappeler à tout instant que le véritable saut consiste à introduire l’invention dans l’existence.

Dans le monde où je m’achemine, je me crée interminablement ». 

Peau noire, masques blancs pages 181 à 188, où on peut lire :

«… il ne faut pas essayer de fixer l’homme, puisque son destin est d’être lâché …

Moi, l’homme de couleur, je ne veux qu’une chose :

Que jamais l’instrument ne domine l’homme. Que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme. C’est-à-dire de moi par un autre. Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme, où qu’il se trouve…

C’est par un effort de reprise sur soi et de dépouillement, c’est par une tension permanente de leur liberté que les hommes peuvent créer les conditions d’existence idéales d’un monde humain.

Supériorité ? Infériorité ?

Pourquoi tout simplement ne pas essayer de toucher l’autre, de sentir l’autre, de me révéler l’autre ?

Ma liberté ne m’est-elle donc pas donnée pour édifier le monde du toi ?

A la fin de cet ouvrage, nous aimerions que l’on sente comme nous la dimension ouverte de toute conscience.

Mon ultime prière :

O mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge ! »

 

C’est cette démarche d’hominisation par la liberté créatrice et par l’amour qui conduit Fanon à la remise en cause radicale du racisme, de l’antisémitisme et de toutes les formes d’infériorisation de l’autre.

C’est pour cela que Fanon stigmatise l’infériorisation du créole et l’utilisation méprisante du parler petit nègre de certains blancs à l’égard des personnes dites de couleur en leur parlant (Le Noir et le langage, Peau noire, masques blancs, pp. 14-32).

C’est cette démarche d’hominisation qui conduit Frantz Fanon à affirmer :

« Aujourd’hui nous croyons en la possibilité de l’amour, c’est pourquoi nous nous efforçons d’en détecter les imperfections, les perversions »

Peau noire, masques blancs p. 33.

Il va donc s’intéresser à certains cas pathologiques décrits dans des romans à succès de son époque.

Ainsi va-t-il considérer comme une perversion de l’amour le rapport faussé entre certaines femmes de couleur et l’homme blanc, comme l’héroïne de l’ouvrage de Mayotte Capécia Je suis Martiniquaise, ouvrage qui a obtenu le Grand prix des Antilles en 1948 et que Fanon considère comme « un ouvrage au rabais prônant un comportement malsain » (p. 34). Fanon note par exemple que l’auteur est fier d’apprendre qu’elle a une grand-mère blanche et cite à la page 38 ce passage de l’ouvrage de Mayotte Capécia « je décidai que je ne pourrai aimer qu’un blanc, blond avec des yeux bleus, un Français » (p. 59 de Je suis Martiniquaise).

Perversion de l’amour aussi selon Fanon que le comportement de la mulâtresse Nini, du roman de Abdoulaye Sadji, habitante de Saint-Louis du Sénégal, qui s’offusque de la demande en mariage du nègre Mactar. Pour cette mulâtresse épouser un noir serait déchoir, régresser.

Pour Fanon il ne saurait y avoir d’amour vrai pour les femmes dites de couleur qui sont dans l’état d’esprit qu’il décrit tant qu’elles n’auront pas expulsé de leur inconscient le sentiment d’infériorité qui les conduit à la « lactification », c’est-à-dire à se blanchir physiquement ou culturellement.

Il ne saurait y avoir d’amour vrai pour les hommes dits de couleur qui sont dans l’état d’esprit qu’il décrit, tant qu’ils seront motivés par la « recherche de la chair blanche » (Peau noir, masques blancs, p. 66).

Lorsqu’il évoque les rapports entre la femme de couleur et le blanc ou de l’homme de couleur et la femme blanche son propos n’est pas généralisant. Il écrit « De même qu’il y avait une tentative de mystification à vouloir inférer du comportement de Nini et de Mayotte Capécia une loi générale du comportement de la Noire vis çà vis du Blanc, il y aurait, affirmons nous, manquement à l’objectivité dans l’extension de l’attitude de Veneuse à l’homme de couleur en tant que tel » (Peau noir, masques blancs p. 65).

Dans le chapitre intitulé l’expérience vécue du Noir, qui sur le plan littéraire fait partie des plus belles pages écrites par Fanon, celui-ci décrit le douloureux itinéraire du Noir qui tente d’abord à s’arracher au regard chosifiant du blanc (à noter que le regard chosifiant était un thème cher à Jean-Paul Sartre),  qui tente ensuite de se rapprocher de ses frères nègres comme lui mais « horreur, ils me rejettent. Eux sont presque blancs. Et puis ils vont épouser une blanche. Ils auront des enfants légèrement bruns…qui sait, petit à petit..peut-être… » (p. 94). Vient ensuite pour lui le temps de la découverte des valeurs nègres, du glorieux passé des civilisations africaines. Puis vient le temps de la négritude, non comme un repli ethnique, non comme l’affirmation orgueilleuse de soi ou le moment d’une dialectique de type hégélien mais comme la force qui « troue l’accablement opaque de sa droite patience » comme l’a écrit Aimé Césaire.

Mais d’où vient le complexe d’infériorité des uns et de supériorité des autres ?

Fanon esquisse une réponse en écrivant :

« L’analyse que nous entreprenons est psychologique. Il demeure toutefois que pour nous la véritable désaliénation du Noir implique une prise de conscience abrupte des réalités économiques et sociales. S’il y a complexe d’infériorité, c’est à la suite d’un double processus :

– Economique d’abord ;

– par intériorisation ou, mieux, épidermisation de cette infériorité, ensuite. »

Peau noire, masques blancs, P. 8

Pour lui, il faut donc rechercher les origines économiques de la construction du préjugé d’infériorité raciale. L’analyse du système esclavagiste lui donne raison. En effet, au point de départ de l’esclavage il y a un processus économique d’enrichissement en exploitant la main d’œuvre servile. Et pour justifier l’inhumanité du système et le maintenir il y a eu la construction d’un discours sur l’infériorité des nègres et la mise en place d’un véritable système d’apartheid.

Il y a sans doute dans cette analyse de Fanon une grande part de vérité, c’est le cas nous venons de le dire s’agissant du préjugé de l’infériorité des noires qui s’origine dans une instrumentalisation de la race au service d’un système d’exploitation économique. Mais on peut toutefois se demander s’il n’y a pas aussi d’autres explications de l’origine du racisme. Je considère pour ma part que le racisme fait partie de ces constructions mentales destinées à justifier la volonté de domination de l’autre en prenant prétexte de son apparence physique, volonté de domination qui n’est pas exclusivement économique.

Face aux préjugés d’infériorité raciale que propose Fanon ? Il veut en libérer aussi bien le noir que le blanc lui-même. Lorsqu’il traite des rapports entre noirs et blancs son objectif est « de rendre possible pour le Noir et le Blanc une saine rencontre » (Peau noir, masques blancs p. 62).

« Je veux vraiment- dit-il– amener mon frère, Noir ou Blanc, à secouer le plus énergiquement la lamentable livrée édifiée par des siècles d’incompréhension ».

(Peau noire, masques blancs, p. 10).

Ce qu’il veut c’est être solidaire de tous ceux qui s’engagent pour plus d’humanité. C’est pour cela qu’il écrit :

« Je suis un homme, et c’est tout le passé du monde que j’ai à reprendre…(donc pas seulement le passé des noirs)

Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte.

En aucune façon je ne dois tirer du passé des peuples de couleur ma vocation originelle».

(Peau noire, masques blancs p. 183)

Ou encore :

« Si à un moment la question s’est posée pour moi d’être effectivement solidaire d’un passé déterminé, c’est dans la mesure où je me suis engagé envers moi-même et envers mon prochain à combattre de toute mon existence, de toute ma force pour que jamais il n’y ait sur terre, de peuples asservis ».

(Peau noire, masques blancs p. 184)

Et aussi :

« Je ne suis pas prisonnier de l’Histoire. Je ne dois pas y chercher le sens de ma destinée…

Vais-je demander à l’homme blanc d’aujourd’hui d’être responsable des négriers du XVIIe siècle ?

Vais-je essayer par tous les moyens de faire naître la culpabilité dans les âmes ?

 La douleur morale devant la densité du Passé ? Je suis nègre et des tonnes de chaînes, des orages de coups, des fleuves de crachats ruissellent sur mes épaules. Mais je n’ai pas le droit de me laisser ancrer…Je n’ai pas le droit de me laisser engluer par les déterminations du passé.

Je ne suis pas esclave de l’esclavage qui déshumanisa mes pères ».

(Peau noir, masques blancs p. 186).

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Mon interprétation est qu’il ne s’agit pas de vouloir refaire le passé mais de faire disparaître ses séquelles dans le présent et parmi ces séquelles, encore présentes, et qui engendre encore bien des souffrances aujourd’hui, il y a les préjugés raciaux.

La démarche de solidarité de Fanon avec les dominés, quels qu’ils soient, et sa quête d’un authentique humanisme conduisent Fanon notamment à dénoncer le colonialisme, la captation du pouvoir par les leaders nationalistes et à proposer une autre conception du pouvoir, des rapports hommes femmes ainsi que de la culture.

L’aversion de Fanon pour le monde colonial s’exprime ainsi :

« Le monde colonial est un monde compartimenté…le monde colonial est un monde manichéiste…La société colonisée n’est pas seulement décrite comme une société sans valeurs…l’indigène est déclaré imperméable à l’éthique, absence de valeurs, mais aussi négation des valeurs…Parfois ce manichéisme va jusqu’au bout de sa logique et déshumanise le colonisé… »

(Les Damnés de la terre, pp. 7-11).

La violence physique sur laquelle repose le système colonial conduit Fanon à prôner pour la faire cesser la légitime défense autrement dit la contre-violence du colonisé.

Aimé Césaire, dans son hommage à Fanon, explique le sens de ce choix en le replaçant dans son contexte et dans sa finalité.

« Un violent, a-t-on dit de lui. Et il est bien vrai que Fanon s’institua théoricien de la violence, la seule arme du colonisé contre la barbarie colonialiste.

Mais sa violence était, sans paradoxe, celle du non-violent, je veux dire la violence de la justice, de la pureté, de l’intransigeance. Il faut qu’on le comprenne : sa révolte était éthique et sa démarche de générosité. Il n’adhérait pas à une cause. Il se donnait. Tout entier. Sans réticence. Sans partage. Il y a chez lui l’absolu de la passion ».

Michel Giraud fait la même analyse quand il écrit :

« ..l’appel à la violence que l’on trouve effectivement dans les Damnés de la terre répond, chez Fanon à un humanisme profond qui peut être caractérisé par le souci primordial du respect de la personne humaine en chaque homme et dans tous les hommes, quelle que soit leur origine, leur couleur ou leur condition » (Mémorial International Frantz Fanon 31 mars-3 avril 1982, Présence Africaine1984, p. 82))

Cette démarche pour l’émergence d’un humanisme authentique a conduit Fanon à dresser un réquisitoire contre cette part de l’Europe qui parle des droits de l’homme mais qui ne cesse d’humilier les hommes et les peuples ou de les massacrer compte tenu de ses appétits de richesses et de puissances. Mais aussi, cette démarche le conduit, en revanche, à en appeler à cette part de l’Europe capable de se solidariser avec un nouveau projet d’humanisation du monde.

«  Le tiers monde n’entend pas organiser une immense croisade de la faim contre toute l’Europe. Ce qu’il attend de ceux qui l’ont maintenu en esclavage pendant plusieurs siècles c’est qu’ils l’aide à réhabiliter l’homme, à faire triompher l’homme partout, une fois pour toutes…Ce travaille colossale qui consiste à réintroduire l’homme dans le monde se fera avec l’aide des masses européennes qui, il faut qu’elles le reconnaissent, se sont souvent ralliées sur les problèmes coloniaux aux positions de nos maîtres communs »

(Les Damnés de la terre, p. 62).

Et Fanon de conclure Les damnés de la terre en écrivant :

« Pour l’Europe, pour nous-mêmes et pour l’humanité, camarades, il faut faire peau neuve, développer une pensée neuve, tenter de mettre sur pied un homme neuf »

(Les Damnés de la terre, Conclusion p 233).

Cette même démarche a conduit Fanon à dénoncer, avec lucidité, la captation du pouvoir par certains leaders nationalistes.

« Avant l’indépendance, le leader incarnait en général les aspirations du peuple : indépendance, libertés publiques, dignité nationale. Mais, au lendemain de l’indépendance, loin d’incarner concrètement les besoins du peuple, loin de se faire le promoteur de la dignité réelle du peuple, celle qui passe par le pain, la terre et la remise du pays entre les mains sacrées du peuple, le leader va révéler sa fonction intime : être le président général de la société de profiteurs impatients de jouir que constitue la bourgeoise nationale ».

(Les Damnés de la terre,  p 109)

« Le collège des profiteurs chamarrés, qui s’arrachent les billets de banque sur le fonds d’un pays misérable, sera tôt ou tard un fétu de paille entre les mains de l’armée, habillement manœuvrée par des experts étrangers »

(Les Damnés de la terre,  p 115)

Pourquoi cette trahison des aspirations réelles des populations ? N’est-ce pas précisément parce que l’action de ces leaders ne procède pas de l’éthique dont s’inspire Fanon mais de la quête narcissique d’avoir et de pouvoir ?

C’est au nom d’une autre conception du pouvoir que Fanon prend position en faveur d’un socialisme qu’il veut démocratique. Que faut-il entendre par socialisme démocratique ?

Il s’agit selon Fanon  d’« un régime tout entier tourné vers l’ensemble du peuple, basé sur le principe que l’homme est le bien le plus précieux » ce régime dit-il « nous permettra d’aller plus vite, plus harmonieusement, rendant de ce fait impossible cette caricature de société où quelques uns détiennent l’ensemble des pouvoirs économiques et politiques au mépris de la totalité nationale ».

(Les Damnés de la terre, pp 56-57)

Pour lui, « Dans un pays sous développé, l’important n’est pas que trois cent personnes conçoivent et décident mais que l’ensemble, même au prix d’un temps double ou triple, comprenne et décide…Les gens doivent savoir où ils vont et pourquoi ils y vont »

(Les Damnés de la terre, p 130)

Il dit encore « …il faut décentraliser à l’extrême… »

(Les Damnés de la terre,  p 133)

Pour que les gens sachent où ils vont il faut selon lui un programme, mais lequel ?

Il répond en réaffirmant une fois encore le sens profond de sa démarche :

« Comme on le voit un programme est nécessaire à un gouvernement qui veut vraiment libérer politiquement et socialement le peuple. Programme économique mais aussi doctrine sur la répartition des richesses et sur les relations sociales. En fait il faut avoir une conception de l’homme, une conception de l’avenir de l’humanité »

(Les Damnés de la terre,  p. 138).

Il ne suffit donc pas de faire la révolution, il faut s’engager dans un projet dont la finalité est l’épanouissement humain sinon on retombe dans de nouvelles formes d’oppression.

Pour Fanon aussi l’avenir de l’humanité passe par la libération de la femme. La société voulue par Fanon est une société où l’égalité entre la femme et l’homme ne soit pas proclamée de façon théorique mais devienne au quotidien une réalité effective et concrète. Une société où la femme ne soit pas instrumentalisée par exemple dans sa façon de se vêtir ou de se dévêtir (cf. L’an V de la révolution algérienne, L’Algérie se dévoile).

« Le pays sous développé – écrit-il – doit se garder de perpétrer les traditions féodales qui consacrent la priorité de l’élément masculin sur l’élément féminin. Les femmes recevront une place identique aux hommes non dans les articles de la constitution mais dans la vie quotidienne, à l’usine, à l’école, dans les assemblées ».

(Les Damnés de la terre,  p 136).

L’avènement d’une nouvelle condition de la femme suppose un changement de culture. Culture sur laquelle Fanon nous livre également une nouvelle approche.

« La culture vers laquelle se penche l’intellectuel n’est souvent qu’un stock de particularismes. Voulant coller au peuple, il colle au revêtement visible. Ce revêtement n’est qu’un reflet d’une vie souterraine, dense, dans un perpétuel renouvellement »

(Les Damnés de la terre,  p 154-155).

La culture n’est donc pas un ensemble de traits issus du passé et mis en conserve, elle est une création perpétuelle des individus et des peuples en quête de plus d’humanité. Quant à l’universalité, considérée comme nécessaire par Fanon, elle suppose la disparition du rapport de domination pour que soit possible « la décision de prise en charge du relativisme réciproque de cultures différentes » (cf. conférence sur Racisme et culture, dernière phrase).

En lisant ou relisant Fanon, nous découvrons donc non pas une doctrine mais des pensées, dont certaines peuvent éventuellement faire l’objet d’une réflexion critique, mais des pensées qui s’inscrivent, selon nous, dans une démarche éthique admirable consistant à s’engager pour un monde plus humain et plus juste.

 

Quel lien peut-on faire entre les pensées de Fanon et l’aujourd’hui des droits humains ?

On peut, certes, déjà trouver ce lien à propos de telle ou telle question, par exemple le refus de la discrimination raciale, l’égalité entre la femme et l’homme, la mise en place d’un régime politique démocratique, la libre détermination des peuples etc.

Certaines de ces questions nous interpellent tout particulièrement. Par exemple en avons-nous totalement fini dans notre société avec le préjugé de couleur ? Celui-ci n’engendre-t-il pas encore des souffrances chez certaines personnes ?

Mais le lien le plus profond est celui qui relie la démarche éthique de Frantz Fanon à celle qui fonde le processus sans cesse continué de conquête des droits humains.

En effet, au fondement de la reconnaissance des droits humains il y a une éthique qui conduit à un engagement, qui peut prendre des formes multiples, en faveur du respect et de la promotion de la dignité de la personne humaine, qui conduit au refus de tout ce qui lui porte atteinte, au refus de toutes les formes de réductionnisme. Fanon disait « il ne faut pas essayer de fixer l’homme puisque son destin est d’être lâché » (Peau noir, masques blancs, p. 187), Refus de réduire, la personne humaine à telle ou telle apparence extérieure ou à telle ou telle appartenance ethnique ou religieuse. Refus de réduire la personne humaine à être un simple rouage du système consumériste. L’éthique des droits humains est une éthique du refus de toute forme d’instrumentalisation des êtres humains.

Et pour parler comme Stéphane Hessel, qui fit partie de la commission chargée de préparer la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, pour parler donc comme Stéphane Hessel, il s’agit d’une éthique qui conduit à « s’indigner » face à tout ce qui porte atteinte à la dignité de la personne humaine et à s’engager par une pratique non-violente du côté de ceux qui veulent construire un monde à visage humain.

Aujourd’hui les motifs d’indignation ne manquent malheureusement pas. Il en est un que ne renierait pas Fanon s’il vivait aujourd’hui c’est celui résultant du constat dresser par Stéphane Hessel et bien d’autres :

« L’écart entre les plus pauvres et les plus riches n’a jamais été aussi important ; et la course à l’argent, la compétition, aussi encouragée ». Et l’auteur d’ajouter « Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie » (Stéphane Hessel, Indignez vous !, Indigène édition, p. 11).

La promotion des droits humains dans notre monde actuel constitue, à n’en point douter, une composante essentielle de la « politique d’humanité » et du chemin de l’espérance prônée par Stéphane Hessel et Edgar Morin dans leur ouvrage  Le chemin de l’espérance (Fayard 2011).

L’œuvre et l’action de Fanon illustrent parfaitement cette « politique d’humanité » dont parlent ces auteurs et c’est un chemin d’espérance que Frantz Fanon a voulu tracer, chemin dans lequel il s’est engagé de façon totale et qui nous interpelle encore aujourd’hui.

image_pdfTélécharger au format PDF
Publié dans Actualité, Dossiers, Education nouvelle, France, Ressources thématiques

Frantz Fanon en Algérie. Après l’indépendance, son influence

Intervention de Christiane CHAULET ACHOUR

Membre du Cercle Frantz Fanon

Meeting du GRS sur F. Fanon

Évoquer les années algériennes de Frantz Fanon, c’est s’arrêter sur les huit dernières années d’une courte mais dense vie, suspendue brutalement par la leucémie à l’âge de 36 ans : de novembre 1953, date à laquelle il rejoint son poste à Blida (Algérie) à décembre 1961, date de sa mort à Washington : 1954, 1955, 1956, 1955, 1958 , 1959, 1960, 1961, la dernière année partagée entre la maladie et les soins qu’elle demande et l’écriture des Damnés de la terre.

Si le jeune Fanon écrit dès les premières lignes de Peau noire masques blancs, « je n’arrive point armé de vérités décisives », nulle mieux que l’expérience algérienne peut illustrer cette affirmation. Ce jeune psychiatre martiniquais, formé dans l’université française, a déjà manifesté, depuis son engagement dans les Forces Françaises libres jusqu’à l’écriture de cet essai, plus d’une innovation pour ne pas dire rupture par rapport aux cadres où il s’inscrit successivement.

Parti en dissidence, il découvre avec force – ce qui était ressenti en atténué dans sa Martinique natale –, le racisme, la ségrégation, plus pernicieuse d’être quotidienne et banale, la réalité de la domination. Cette expérience est véritablement (mise à part ce qu’il a engrangé dans sa formation et ses lectures adolescentes) l’alpha de ses engagements successifs. C’est en vivant et en observant son environnement de vie et en lisant qu’il outille ses remarques tellement d’actualité dans ce premier essai. Je ne m’y attarderai pas car ce n’est pas mon sujet mais je tenais à le dire tant on a écrit et dit que Fanon avait été « fait » par l’Algérie.

Fanon arrive donc déjà « armé » en Algérie : qu’on lise son article de 1952 sur « Le syndrome nord-africain » pour s’en convaincre ! L’acuité de son regard sur les malades nord-africains et sur l’attitude du corps médical français à leur égard est remarquable. Pourtant, on peut dire aussi qu’il ne sait pas grand-chose de ce qu’est cette colonie de peuplement qu’est l’Algérie et qu’il découvre par un de ses foyers révélateurs, le milieu psychiatrique et son mépris argumenté « scientifiquement » pour l’Arabe et, au-delà, pour les habitants colonisés du pays. Nombre de Français, venus travailler en Algérie, ont très vite en quelques mois, adopté le point de vue du dominant. Ce n’est pas le cas de Fanon qui, comme il le dit dans sa lettre de démission au Ministre Résident, Robert Lacoste, en 1956, se met au service du pays : « Pendant trois ans je me suis mis totalement au service de ce pays et des hommes qui l’habitent. Je n’ai ménagé ni mes efforts ni mon enthousiasme. Pas un morceau de mon action qui n’ait exigé comme horizon l’émergence unanimement souhaitée d’un monde valable. »

Rappelons que Fanon a la charge de deux services de malades mentaux, celui des femmes européennes et celui des hommes musulmans. Il soignera toujours des malades des deux communautés ce qui se reflète très bien dans les exemples et les observations qui nourriront ces deux essais de 1959 et de 1961. Fanon dit à Charles Géronimi, dans un entretien, que « la psychiatrie doit être politique ». On lira sur ce « Fanon à Blida » le chapitre plus qu’éclairant d’Alice Cherki dans son Frantz Fanon portrait. De fait, engagement militant et exercice professionnel n’ont jamais été séparés chez Fanon.

Se mettre au service de ce pays, ce n’est pas seulement soigner mais c’est le comprendre. Et Fanon rattrape, avec la vitesse dont il a le secret et l’énorme capacité de travail, d’observation et de lectures qui est la sienne, ce qu’il ne connaît pas de l’Algérie. Cette implication algérienne se poursuit, bien évidemment, quand il rejoint Tunis et qu’il devient, acteur et membre de la Révolution algérienne. Fanon exerce à la fois ses fonctions de médecin mais accepte aussi de mettre sa plume au service de la presse du FLN et d’être un des rédacteurs anonymes, selon la règle de l’époque, d’El Moudjahid. On sait qu’après 1959, des missions en Afrique lui sont confiées par le GPRA et qu’il devient son représentant à partir de 1960 jusqu’à sa maladie.

Il faudrait plus de temps pour développer toute cette « algérianité » qu’acquiert F. Fanon en quelques années. Il le fait avec la conviction qu’il a trouvé, dans la résistance algérienne, le lieu de la remise en cause radicale du colonialisme français et de l’impérialisme international. Il devient membre actif d’une nation à naître et qui se bat pour son existence nationale et internationale. Toute action doit être située de façon précise dans un contexte. L’observation et l’implication de et dans la société algérienne auxquelles Fanon s’exerce depuis sa nomination à l’Hôpital de Blida-Joinville le placent du côté de la tradition de lutte contre les méfaits du colonialisme qu’il partage ainsi avec nombre d’Algériens et nombre de colonisés.

A cette étape, je voudrais insister sur la force qu’a représentée pour moi ce que Fanon a écrit dans « L’Algérie se dévoile », sur les femmes et leurs actions dans la résistance algérienne. Ces pages ont été dévoyées de deux façons : d’une part par les coups de massue qu’ont porté des féministes américaines contre Fanon le machiste à propos de sa lecture de Je suis Martiniquaise de Mayotte Capécia. Avant de jeter la pierre à Fanon, il faudrait que chacun(e) lise ce médiocre roman esthétiquement et idéologiquement – et qu’il soit ou non écrit par cette femme ne change rien à l’affaire du procès en machisme contre Fanon… Et qu’on relise attentivement ce chapitre de L’An V de la révolution algérienne. Les analyses que Fanon y consacra aux Algériennes, aucune Algérienne désireuse d’une société d’égalité et de justice ne les lit encore aujourd’hui impunément, rêvant de cette réalité passée dont les promesses ne se sont pas totalement accomplies.

 L’An V  se nourrit de cette année 1956, essentielle pour l’Algérie car c’est l’année où le pouvoir français décide d’envoyer le contingent dans le maquis algérien. C’est celle de la démission du psychiatre, c’est celle de l’union contre le pouvoir colonial des différentes tendances qui n’avaient pas encore reconnu le FLN, c’est celle de la multiplication des appels de la direction de la lutte aux Européens d’Algérie ; c’est enfin l’engagement de toutes les composantes de la société algérienne dans la résistance pour l’indépendance. En août 1956, le Congrès de la Soummam salue « avec émotion, avec admiration, l’exaltant courage des jeunes filles et des jeunes femmes, des épouses et des mères. » Fanon écrit : « En brassant ces hommes et ces femmes, le colonialisme les a regroupés sous un même signe. Egalement victime d’une même tyrannie, identifiant simultanément, un ennemi unique, il fonde dans la souffrance une communauté spirituelle qui constitue le bastion le plus solide de la Révolution algérienne. »

Fanon est un militant de cette lutte et ce que subissent les Algériens, il entend l’interpréter dans le sens de changements futurs vers une restructuration de la société devenue nation. Et, c’est dans le dynamisme de cette interprétation qu’il aborde la question du voile et celle de la femme. Ses analyses sortaient cet élément vestimentaire, essentiel dans la perception de la femme algérienne, de son essentialité symbolique pour lui restituer sa dimension historique, donc sa capacité de modification ; ce qui ne serait pas indifférent à interroger dans les différentes affaires de foulards islamiques qui ont secoué la France ces dernières années. En effet, de nombreux témoignages de femmes ou des œuvres féminines ont montré la conscience qu’elles avaient de leur soumission et de leur infériorisation à travers ce port du voile. Et cela sans qu’elles se sentent pour autant suppôts du colonialisme comme on le leur opposait. Fanon montre comment, pendant la lutte, le voile est instrumentalisé : enlevé ou porté selon les circonstances, objet de reconnaissance féminine mais aussi déguisement protecteur pour le militant, l’objectif premier étant de faire échec à l’occupant. Et dans la dynamique de cette analyse qui n’a rien perdu de son actualité, il donne un aperçu des transformations des relations entre les deux sexes, entre parents et enfants et entre femmes et hommes. Fanon pointe la qualité du changement et non sa quantification. Son texte veut convaincre des nouvelles réalités et il affirme comme points de non retour ce qui a constitué les preuves tangibles d’une transformation profonde de la société algérienne dans une situation d’exception. S’il n’y a pas eu points de non retour, il n’y a pas eu non plus retour au point de départ, comme le prouvent les oppositions de la société actuelle à une régression du statut des femmes. Evolution et régression sont les deux pôles de tension de toute société en voie de démocratisation et ce qui se passe avec les « révolutions » arabes actuellement le montre bien.

« L’Algérienne engagée apprend à la fois d’instinct son rôle de “femme seule dans la rue” et sa mission révolutionnaire. La femme algérienne n’est pas un agent secret. C’est sans apprentissage, sans récits, sans histoire, qu’elle sort dans la rue, trois grenades dans son sac à main ou le rapport d’activité d’une zone dans le corsage […] Ce n’est pas la mise à jour d’un personnage connu et mille fois fréquenté dans l’imagination et les récits. C’est une authentique naissance, à l’état pur, sans propédeutique. Il n’y a pas de personnage à imiter. Il y a au contraire une dramatisation intense, une absence de jour entre la femme et la révolutionnaire. La femme algérienne s’élève d’emblée au niveau de la tragédie. »

Les textes de Fanon ont mis le doigt sur l’émergence de ce que l’on pourrait nommer une nouvelle tradition qu’instaure la militante… Souvenons-nous : « C’est une authentique naissance, à l’état pur, sans propédeutique. Il n’y a pas de personnage à imiter »… Effectivement, par cette irruption fracassante dans la modernité, les algériennes ont acquis une légitimité. Et c’est bien ce que continuent à revendiquer les femmes démocrates. L’Histoire ne s’efface pas même si elle semble parfois oubliée.

Question lancinante : pourquoi alors Fanon n’a pas été plus inspirateur des transformations de la société algérienne depuis l’indépendance. Sans doute d’abord parce que… « une hirondelle ne fait pas le printemps » ! Plus essentiellement, on ne connaît pas beaucoup d’exemples où les analyses complexes, interrogatives, prospectives d’un penseur peuvent servir de « plate-forme » à un régime qui veut avancer avec des certitudes et des lois. Bien difficile pour le pouvoir qui s’installe – et qui a évacué sur sa route bien d’autres intellectuels et militants dérangeants –, de prôner comme référence Les Damnés de la terre et, en particulier mais pas seulement, « Mésaventures de la conscience nationale » ou le statut irrémédiablement révolutionné de la femme et des structures traditionnelles de la famille ou la non-nécessité du leader.

Fanon est mort et l’Algérie, dans ses instances officielles, appose son nom dans la visibilité du tissu urbain ou commémoratif. Au fond, cela ne mange pas de pain ! En même temps, ces hommages (plaques de rues et boulevards, noms de lycée et d’espaces culturels, nom de l’Hôpital psychiatrique de Blida, rituels autour de sa sépulture à Aïn Karma) familiarisent avec le nom du penseur. Mais l’œuvre elle-même est ignorée, lue dans des espaces choisis comme l’université, de l’indépendance à nos jours, avec une disparition dans les années 1990 et 2000 et un retour depuis la réédition en français et la traduction en arabe de ses œuvres.
Mais plus fondamentalement – et l’intervention d’Idriss Terranti sur « Fanon dans le monde arabe » à la Rencontre internationale Frantz Fanon qui vient de se tenir en décembre 2011, intervention faite lors de la journée à Rivière Pilote, est très éclairante à ce sujet – il y a inadéquation entre les essais de Fanon – ou du moins une parties de ses propositions –, et la dominante politico-idéologique de ceux qui détiennent le pouvoir depuis ces années. Il affirme : « une chose est certaine pour tous les pouvoirs qui se sont succédés depuis l’indépendance à ce jour, il n’est nullement question de permettre la diffusion et le débat large sur l’apport de Frantz Fanon à la décolonisation en Algérie et encore moins à l’édification nationale. » Et il poursuit, « le débat sur Fanon n’a pourtant jamais cessé depuis l’indépendance, mais il est maintenu et contenu dans des sphères très limitées qui ne mettaient pas en danger le pouvoir de l’époque. » En effet il y a une différence entre deux perceptions du monde, celle de Fanon « approche dialectique qui trouve dans le contexte national algérien les conditions de faire avancer l’Homme à partir de ses positions identitaires, de son patrimoine mais tendues vers l’universel » et celle, essentialiste, de penseurs qui se définissent « par des absolus  identitaires (historiques et religieux) par opposition à ceux du colonisateur. »

Ces analyses valent aussi en partie, mais en partie seulement, pour les intellectuels algériens francophones dont la lecture de Fanon connaît une progression nette, en quantité et en qualité, ces dernières années et qui font espérer que les essais de Fanon deviennent véritablement une nourriture intellectuelle à assimiler et à adapter en fonction de situations nouvelles pour le devenir de ces sociétés, d’intellectuels qui lisent l’exhortation qui conclue Les Damnés de la terre : « Allons, camarades, il vaut mieux décider dès maintenant de changer de bord […] il nous faut quitter nos rêves, abandonner nos vieilles croyances et nos amitiés d’avant la vie. Ne perdons pas de temps en stériles litanies ou en mimétismes nauséabonds. »

image_pdfTélécharger au format PDF
Publié dans Actualité, Dossiers, Education nouvelle, France, Ressources thématiques